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IDÉES&DÉBATS Quelles limites poser à l’amélioration humaine? Un débat au cœur duquel règne une question centrale: qu’est-ce que l’être humain? «Les philosophies de la Cité» L’humain augmenté: entre amélioration et déshumanisation D DR ans un futur tendre pour ou contre proche, alors que toutes les technologies aménos membres «naturels» lioratives. Par contre, on peut se posipourraient être considérés comme obsolètes tionner et être critique sur l’utilisation néfaste comparés à des membres bioniques, nos assu- de certaines technologies, dans un contexte rances maladie couvriront-elles toujours les donné, tout en encourageant d’autres types frais de clients qui préféreraient, peut-être d’améliorations dans un autre contexte. On légitimement, ne pas remplacer le biologique peut par exemple être contre la prise de médipar le bionique? En bref, aura-t-on toujours caments pour améliorer ses performances le droit de rester humain, sans nécessairement scolaires, mais admettre la prise de drogue devenir augmenté? pour améliorer ses performances sportives; D’aucuns argumentent déjà qu’être équipé l’inverse étant également envisageable. de certaines prothèses bioniques donne un Ain de répondre à ces déis, notre réflexion avantage sur des personnes munies «seule- peut s’appuyer sur certains principes fondament» de membres biologiques. Lors d’un mentaux de bioéthique, tels que la justice récent TED talk, l’athlète et actrice Aimee distributive (qui aura accès et à quel prix à ces Mullins, amputée des deux jambes, mais ne technologies?), l’autonomie de l’individu (aurapossédant pas moins de douze paires de jambes t-on le choix ou l’obligation de s’améliorer?) artiicielles diférentes, airmait se sentir pri- et le risque (est-il dangereux d’utiliser ces vilégiée par rapport à ses amies «valides. En technologies?). Un premier examen de ces efet, elle peut changer de taille selon ses envies. principes, qui fonctionne comme un test préliminaire, nous permet de déterCes questionnements font partie du débat éthique sur l’améliominer si les améliorations enviL’AUTEUR sagées posent problème. En ration humaine, débat de plus en plus médiatisé. A juste titre, les d’autres mots: si une amélioration interrogations quant à savoir si et transgresse ces principes, alors comment utiliser (ou non) certaines elle posera des problèmes technologies émergentes pour amééthiques. liorer l’être humain ne doivent pas Cependant, ces principes de être réservées aux scientiiques. A bioéthique ne vont pas toujours ses débuts, le débat avait donné au cœur du problème. En efet, naissance à des positions extrêmes on peut très bien imaginer une JOHANN et très tranchées, positions d’ailamélioration ou une augmentaRODUIT leurs toujours d’actualité. D’un tion humaine qui – bien que resDocteur en droit et pectant ces principes – soulèvecôté se trouvent les bioconservaéthique biomédicale, rait un certain malaise. La pilule teurs, pour qui toutes les amélioil vient d’être nommé Managing Director rations humaines sont éthiquement «soma» qu’invente Huxley dans du nouveau Centre problématiques, car déshumanison ouvrage Le meilleur des mondes d’humanités médicales santes; de l’autre, les transhumaest une bonne illustration de ce de l’Université de nistes, pour qui ces nouvelles techqui précède. Dans cette iction, Zurich. Il a aussi nologies devraient être utilisées une pilule améliorative – le soma cofondé le think tank ain d’améliorer l’espèce humaine, – est distribuée à chaque citoyen. NeoHumanitas et est même si cela nous rendait autre Elle les empêche de se sentir malblogueur pour le que «simplement» humain. heureux, n’a pas d’efets seconHuington Post. De manière générale, il est daires, et favorise la cohésion diicilement défendable de se présociale. Elle ne menace pas l’au- tonomie des individus et ne présente aucun danger pour leur santé. Au inal, elle respecte donc les principes fondamentaux de la bioéthique. D’autres questions surviennent néanmoins: ce type d’amélioration ne menace-t-il pas la dignité, l’authenticité ou la nature humaine? Cette iction nous confronte à un malaise. On y trouve à la fois des humains améliorés qui ont certes respecté les principes de bioéthique pour se perfectionner, tout en reconnaissant qu’ils sont déshumanisés. Personne dans le débat qui nous occupe n’a encore fait l’apologie d’une telle pilule. Toutefois, ce scénario imaginaire a le mérite d’enrichir le débat en nous dirigeant vers une question qui devient centrale pour ce débat: «Qu’est-ce que l’être humain?» Car il est important de le rappeler: ce débat traite d’amélioration ou d’augmentation de l’humain. Bien qu’il soit extrêmement diicile (impossible?) d’apporter une réponse claire à cette question, nous pouvons néanmoins esquisser quelques ébauches de réponse susceptibles d’aider l’être humain à mener une existence convenable, voire épanouie. La philosophe Martha Nussbaum suggère une liste de dix capabilités ou capacités qui sont, selon elle, essentielles à chaque être humain pour lui permettre de mener une vie épanouie, et ce dans n’importe quel contexte. Des capabilités telles que la santé du corps, l’intégrité corporelle, la possibilité de vivre en société, la possibilité de ressentir des émotions font partie de cette liste et apportent des éléments de réponse à notre question: «Qu’est-ce que l’être humain?» Ces capabilités deviennent des garde-fous, ou des points de référence, qui nous assurent qu’une amélioration est une véritable amélioration et non pas une déshumanisation qui nuirait à nos capacités, et donc à notre humanité. Une amélioration humaine qui ôterait la possibilité à un individu de pouvoir vivre en société deviendrait une évolution déshumanisante, et donc une fausse amélioration. La notion d’être humain a donc encore toute sa place dans ce débat. Les capabilités décrites par Martha Nussbaum nous donnent des points de référence qui nous permettent d’être critiques sur certaines améliorations, sans pour autant toutes les rejeter. Cela démontre qu’il reste possible de s’améliorer, tout en maintenant des limites, ain d’éviter une déshumanisation. ■ SUR WWW.HEBDO.CH RETROUVEZ TOUS LES BILLETS PHILO DANS «LES PHILOSOPHIES DE LA CITÉ» 4 JUIN 2015 L’HEBDO 51