Il a suffi d'un seul appel téléphonique d'une éminence grise du Parti libéral du Québec, Pierre Bibeau, pour abattre les obstacles administratifs auxquels faisait face l'entreprise de Lino Zambito pour réaliser, il y a cinq ans, un contrat majeur dont la nature ne peut être rendue publique.

M. Zambito a affirmé à la commission Charbonneau, jeudi dernier, qu'il avait rencontré M. Bibeau à l'été 2007, après qu'un organisateur politique du ministre David Whissell eut exigé qu'il lui verse 50 000 $ pour régler ce dossier, qui se trouvait alors «sur le bureau de la ministre des Affaires municipales» de l'époque, Nathalie Normandeau.

Une surprenante emprise

Le témoignage qu'a rendu l'ex-entrepreneur en construction Lino Zambito le 4 octobre faisait l'objet d'un interdit de publication qui a ét partiellement levé hier. Il révèle qu'il avait une surprenante emprise sur les décisions gouvernementales dans les plus hautes sphères du Parti libéral du Québec (PLQ).

En juillet 2007, les affaires vont bien pour Lino Zambito. Infrabec continue d'amasser une part régulière des contrats d'égouts de la Ville de Montréal grâce aux manoeuvres d'un «club» d'entrepreneurs qui truque les appels d'offres, corrompt les fonctionnaires et verse une ristourne de 3% au parti municipal du maire, Gérald Tremblay. Un club dont il fait partie.

L'entreprise a quitté Laval, où M. Zambito n'était pas le bienvenu, et s'est installée à quelques kilomètres au nord, où elle devient rapidement incontournable.

La participation de M. Zambito à deux activités de financement politique pour la ministre responsable du dossier, Nathalie Normandeau, vice-première ministre et ministre des Affaires municipales ,le place aussi en situation avantageuse. Il est en contact régulier avec de proches collaborateurs de la ministre, dont son chef de cabinet, Bruno Lortie.

Un visiteur inconnu

C'est alors qu'«un jeudi soir, vers 8 h», M. Zambito reçoit l'appel d'un inconnu, un certain Christian Côté, qui demande à le rencontrer. Cet homme qu'il ne connaît pas, mais qui connaît, lui, son numéro de cellulaire privé, dit faire partie de l'entourage du ministre du Travail, David Whissell, qui est aussi le ministre responsable de la région des Laurentides. Un rendez-vous est fixé pour 8 h le lendemain matin dans les bureaux d'Infrabec.

«Son visage m'était inconnu, dit Zambito. Je me suis assis avec lui. Il m'a fait part que c'est lui qui était responsable du financement pour l'organisation du ministre Whissell dans le comté d'Argenteuil.» M. Côté lui demandait 50 000 $ pour régler un problème qui faisait obstacle à la réalisation d'un contrat.

«Ça me tracassait énormément, a dit M. Zambito à la Commission. Le dimanche matin, j'ai communiqué avec un de mes oncles (Jean Rizzuto), qui a des contacts au Parti libéral du Québec.»

M. Rizzuto (sans lien de parenté avec le clan sicilien de la mafia de Montréal) joint rapidement Pierre Bibeau, éminence grise du Parti libéral du Québec depuis plusieurs décennies, et obtient un rendez-vous dès le lendemain pour discuter du cas de Christian Côté.

«Je lui ai dit: Écoutez, moi, j'ai un individu qui m'appelle jeudi pour me rencontrer. Je ne le connais pas, je veux savoir c'est qui. On vient me voir puis on me demande 50 000$ en comptant au nom... pour le financement du Parti libéral du Québec. Je ne sais c'est qui.»

M. Bibeau lui confirme alors qu'il connaît Christian Côté, que celui-ci s'occupe bien de financement pour le ministre Whissell et qu'il va «régler la situation».

«Il a pris le téléphone et a appelé Alexandre Bibeau, son fils, qui est aussi le directeur de cabinet de M. Whissell. Il lui fait part qu'il est en ma présence et celle de mon oncle, et lui explique la situation.»

«Alexandre, dit-il, selon M. Zambito, j'aimerais que tu avertisses M. Côté de ne plus intervenir auprès de M. Zambito et je veux que tu appelles M. Bruno Lortie à Québec» [afin de régler le problème auquel faisait face l'entrepreneur pour réaliser un contrat].

Quelques semaines plus tard, dit-il, M. Zambito a croisé Christian Côté à l'occasion d'un tournoi de golf: «Il n'a jamais voulu m'adresser la parole», dit-il.

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Ordonnance de non-publication

Les 3 et 4 octobre derniers, une partie du témoignage de l'ex-entrepreneur en construction Lino Zambito devant la commission Charbonneau a été frappée d'un interdit de publication. Cette ordonnance a pour but d'éviter que des informations liées à des procès criminels en cour soient divulguées. Elle a été en partie levée, hier. Par contre, des éléments du récit de Lino Zambito, dont le nom de certaines personnes ou de certains lieux, sont toujours assujettis à l'ordonnance. Ces restrictions expliquent le manque de précision entourant les dossiers évoqués par l'ancien patron d'Infrabec, lors de son témoignage. Dans la mesure du possible, nous avons cherché à relater le contexte et les faits de manière à les rendre aussi clairs que possible, en protégeant les informations toujours visées par l'ordonnance de non-publication.