La nouvelle risque de soulever un vent d'espoir auprès des nombreuses personnes qui peinent à trouver le bon médicament pour traiter un trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).

Le laboratoire BiogeniQ, fondé il y a trois ans, propose en effet depuis quelques jours un nouveau test appelé «bilan pharmacogénétique», qui permettrait d'évaluer «l'efficacité et les risques» de plus d'une dizaine de médicaments utilisés dans le traitement du TDAH. Ces tests seraient les premiers du genre à être offerts au Canada.

L'analyse, qui se fait simplement à partir d'un échantillon de salive, évalue «sept gènes de l'ADN» et leurs interactions avec les molécules des «13 médicaments disponibles au Canada» pour traiter le TDAH, selon le directeur de BiogeniQ, Étienne Crevier. Un classement est ensuite établi selon leur compatibilité avec votre code génétique.

«Le code génétique d'une personne va nous indiquer si tel ou tel médicament est bien métabolisé.»

«On regarde le plan des enzymes qui doivent dégrader un médicament pour le rendre actif et on les qualifie: est-ce qu'elles sont super actives, moyennement actives ou faibles?», a expliqué à La Presse Étienne Crevier, qui travaille sur cette analyse depuis un an.

«Si on se rend compte que l'enzyme qui dégrade le Ritalin, par exemple, est très faible, a poursuivi M. Crevier, nous croyons qu'il y a des chances élevées d'effets secondaires ou d'inefficacité thérapeutique pour cette personne. Donc à chances égales, pourquoi ne pas commencer par un autre médicament?»

Scepticisme

Voilà qui devrait en théorie réjouir la communauté médicale, mais plusieurs médecins-psychiatres interrogés par La Presse ont reçu cette nouvelle avec scepticisme.

«L'idée est bonne, mais pour moi, ça reste une hypothèse de travail, nous a dit la Dre Annick Vincent, spécialiste du TDAH à la Clinique Focus. Actuellement, il n'y a aucune étude clinique qui nous permet de prédire qui va être répondeur ou qui aura des effets secondaires à tel type de médicament dans le déficit d'attention.»

Étienne Crevier, qui a une formation en biochimie et en génétique moléculaire, dit s'être basé sur 400 études, qui détaillent des «évidences scientifiques» établissant des liens d'interaction entre des codes génétiques et des molécules de psychostimulants. Des informations obtenues entre autres par le Clinical Pharmacogenetics Implementation Consortim (CPIC) et la Food and Drug Administration (FDA) américaine.

Une approche qui ne convainc pas la Dre Vincent. Pour le moment, elle n'a pas l'intention de recommander ce test à ses patients. 

«Si le test génétique me permet de dépister des gens qui vont métaboliser" de façon hors-norme un certain type de médicament [soit parce qu'ils le digèrent trop vite ou trop lentement], ça peut être intéressant, mais nous n'avons aucune donnée qui nous indique que pour telle personne, ça prendrait tel produit. Il faut faire des études cliniques pour ça.»

Y a-t-il des médicaments utilisés dans le traitement du TDAH que la Dre Vincent considère comme inefficaces ou dangereux?

«L'ensemble des produits que l'on retrouve sur le marché canadien, que ce soit les psychostimulants ou les non-psychostimulants, est efficace - comparativement à un placebo, c'est-à-dire en l'absence de traitement. Ça ne veut pas dire que tout le monde va bien répondre à ces produits, il faut toujours trouver celui qui est le mieux adapté, mais on ne voit pas de profil génétique.

«Ce qu'on voit cliniquement, a détaillé la Dre Vincent, c'est que les produits à courte action [comme le Ritalin ou la Dexédrine], qui embarquent rapidement dans le système sanguin et dans le cerveau et qui débarquent rapidement, ont un effet total de trois ou quatre heures, ce qui fait que le patient va ressentir ce qu'on appelle des pics et des creux. Ces produits sont moins bien tolérés et on ne les recommande plus.»

Étienne Crevier cible également le Ritalin, qui selon lui a de nombreuses interactions avec notre code génétique. «On arrive à cette conclusion en analysant l'ADME [absorption, dégradation, métabolisme et excrétion], a-t-il précisé. Chaque molécule a ses particularités sur l'une de ces variables. Notre appréciation est basée là-dessus.»

D'autres bémols

Le Dr Martin Gignac, chef du département de psychiatrie au CHU Sainte-Justine et professeur à l'Université de Montréal, estime que la pharmacogénétique est un bel idéal, mais il doute lui aussi que ces analyses soient aujourd'hui probantes.

«Il y a quand même 70 % de nos patients qui répondent bien aux psychostimulants, a-t-il noté. Je trouve qu'il y a un raccourci à dire: votre médecin va choisir un médicament en fonction du comportement de vos enzymes. Je ne crois pas qu'aujourd'hui, la communauté médicale peut se baser là-dessus pour faire un choix médical.

«Les gens vont avoir une réponse préférentielle à certains médicaments, mais ce n'est pas uniquement lié aux enzymes qui les dégradent, a-t-il poursuivi. C'est très lié à la pathologie elle-même, et on ne sait toujours pas quels sont les gènes liés à la maladie. Pour moi, ça pose problème de faire un test génétique en lien avec la réponse au traitement. On ne peut pas prédire qui sont les sujets qui vont répondre à quelle molécule pharmacologique.»

«Tant qu'on n'a pas élucidé ces associations entre la maladie et les gènes, ça va être difficile de conférer une réponse à des traitements.»

«La question de la métabolisation est intéressante, mais on sait que la plupart des médicaments utilisés pour traiter le TDAH sont métabolisés par les reins et non par les voies hépatiques, qui sont elles associées au génotype.»

Prudente, l'Association des médecins-psychiatres du Québec n'a pas voulu se prononcer sur la question. 

Les tests proposés par BiogeniQ - au coût de 285 $ - serviront-ils aux médecins en dépit du fait qu'ils ne sont pas couverts par la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ)? Le Dr Marc Robin, cité par le laboratoire québécois, estime que la pharmacogénétique est une avenue prometteuse et que ces tests « pourraient être un outil additionnel dans la prise de décision d'un médecin ». Il partage toutefois les mêmes réserves que ses collègues, à savoir que «la preuve d'utilité clinique n'a pas encore été démontrée».

Difficile prévision

La Dre Christiane Laberge, autre spécialiste du TDAH, n'était pas au courant de l'existence du test. Elle aussi croit qu'il est trop tôt pour crier victoire, appelant d'abord à la publication d'études cliniques sur le sujet. 

Concernant les effets indésirables des médicaments utilisés dans le traitement du TDAH, elle y va d'un exemple. «Le Redbull, le café et le cola, ce sont tous des psychostimulants. Pouvez-vous prédire d'avance lequel va provoquer une augmentation signifiante du rythme cardiaque? De la pression artérielle? La réponse est non. Pour savoir si le café vous réveille la nuit, vous l'avez essayé. C'est la même chose qu'on fait avec les médicaments qu'on utilise pour traiter le TDAH.»

La Dre Laberge croit que les médicaments qui ne fonctionnent pas finissent toujours par disparaître.

«La Dexédrine est utilisée comme psychostimulant depuis 1937, le Méthylphénidate depuis 1950. Pensez-vous vraiment que s'il n'y avait aucune amélioration des symptômes et qu'il n'y avait que des effets secondaires, on ne les aurait pas flushés"? Regardez ce qui se passe avec le Viagra féminin. Si ça ne fonctionne pas, on ne va plus en entendre parler.»