La longue marche

Pour deux frères ayant l’intention de poursuivre leurs rêves en course sous harnais, même un voyage aller-retour de neuf heures pour conduire dans un programme, n’est un obstacle. par Paul Delean / Traduction Louise Rioux

Quoi qu’encore à des années-lumière de la célébrité et des statistiques des frères accomplis du Québec comme les Fillion, Lachance et Allard, les Roy commencent à faire parler d’eux dans leur province.

Louis-Philippe Roy, 26 ans, et son frère Pierre-Luc, 28 ans, ont tous deux terminé parmi les 20 premiers conducteurs dans les statistiques de cette année à l’Hippodrome 3R de Trois-Rivières, au Québec. Louis-Philippe a atteint la somme de 120 000 $ en bourses, terminant avec 15 victoires en 186 départs, ce qui le place en septième position. À la fin de la saison 2015, après seulement une année de sa première victoire comme professionnel, il est l’un des conducteurs de relève le plus occupés.

Dans l’ensemble, au 16 novembre, les statistiques de Louis-Philippe sont 275 – 45 – 67 – 40 (153 936 $) 0.347. Pierre-Luc pour sa part, a mené six gagnants en 60 départs à 3R, la plupart provenant de l’écurie de son bon ami Charles Gaudreault, en plus de sept autres sur le Circuit Régional Québec et dans les Maritimes.

Celles de Pierre-Luc à la même date, se lisent comme suit : 92 – 13 – 15 – 15 (34 081 $) 0.286.

Ce qui est peu commun de la part des deux frères, c’est qu’ils vivent très loin de l’Hippodrome 3R, le seul hippodrome entièrement accrédité encore en opération au Québec. Leur ville natale se situe à 460 kilomètres à l’est, soit à Mont-Joli, une ville dont la population est de 6000 personnes, située sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, près de Rimouski. Chaque déplacement vers l’hippodrome représente un très long voyage, pour de relativement petites bourses.

« Nous n’avons pas peur de voyager, » de dire Pierre-Luc.

Ils occupent aussi des emplois à temps plein en plus des courses, ce qui reflète la réalité de l’industrie, soit sa grande fragilité économique au Québec. Louis-Philippe est diplômé de l’Université du Québec à Rimouski, et il est analyste financier pour la compagnie de télécommunications Telus. Pierre-Luc travaille en maintenance à l’hôpital de Mont-Joli. Ils organisent leur programme de course en fonction de leurs horaires de travail du mieux qu’ils le peuvent durant les 40 jours de course en direct présentées annuellement à Trois-Rivières.

« Heureusement, mon employeur me laisse beaucoup de flexibilité. Je peux travailler en route, et à partir de mon domicile, » dit Louis-Philippe.

Bien que leur propre implication en courses sous harnais soit plutôt récente, les racines familiales dans le sport remontent à plusieurs décennies. Leur grand-père possédait des chevaux de course ainsi que leur père, Jean-Marc, un comptable qui travaillait pour une compagnie de pavage de Mont-Joli.

À partir des années ’80 jusqu’au début des années ’90, Jean-Marc avait quelques performeurs productifs sur le Circuit Québec comme Lukes Bonhomme p,1:56.3f (182 709 $) et Canaco Rain p,3,1:57.1f (137 514 $), mais il s’est retiré du sport alors que les garçons et leur sœur, Anne-Sophie, maintenant âgée de 21 ans, étaient très jeunes.

« Nous avions dans la maison des photographies prises dans le cercle du vainqueur, et des cassettes des courses, mais nous n’y étions pas très intéressés, » dit Pierre-Luc. « C’est plutôt le hockey qui nous intéressait. »

Les deux garçons ont joué au hockey à un haut niveau. Louis-Philippe, gardien de but, s’est rendu jusqu’au Junior AA. Pierre-Luc lui s’est rendu un échelon plus haut, participant à une partie pré saison, comme avant, pour l’Océanic de Rimouski de la Ligue Junior Majeure de Hockey.

« Rendu à un certain point, » dit Pierre-Luc, « force est de réaliser que vous ne vous démarquez pas, que vous n’êtes que moyen. C’est donc le temps de passer à autre chose. »

« J’étais trop petit pour aller plus loin, » de dire Louis-Philippe, qui fait 5 pieds 8 pouces et pèse 145 livres. « Mais ce qui m’a limité au hockey m’a été d’une grande aide en course. »

Il a été le premier des deux à se laisser prendre par les courses sous harnais, à l’âge d’environ 14 ans. Un de ses amis d’enfance était Maxime Gaudreault, et la famille Gaudreault possédait un standardbred à la retraite du nom de Silverdust, qui n’avait connu qu’un seul départ en carrière, et qui était gardé à un centre d’entraînement près de Price. Louis-Philippe et Maxime ont décidé qu’ils allaient préparer le cheval de 8 ans pour un retour en compétition sur le Circuit Québec, lequel s’arrêtait une fois par année à Mont-Joli.

« Après l’école, nous l’entraînions sur quatre milles – deux milles à la fois, » se rappelle Louis-Philippe. Le retour ne s’est jamais concrétisé, mais l’intérêt et le dévouement de Louis-Philippe ont suffi à convaincre son père d’acheter un autre cheval. Cheval qui ne fut pas très rapide, finalement.

« Elle s’appelait Chaleurs Genesse. Nous l’avons fait courser aux foires (2004-2005), et elle se retrouvait à 40 longueurs derrière les autres, » se rappelle Pierre-Luc avec un sourire.

Ayant de toute façon, maintenu leur enthousiasme, leur père en a acheté d’autres.
« C’était tout nouveau pour nous. Nous considérions que ça ne pouvait qu’aller en s’améliorant, » dit Pierre-Luc, dont la première victoire en tant que conducteur est arrivée à l’âge de 18 ans, non pas avec un cheval de la famille, mais bien avec l’un des chevaux de l’écurie Gaudreault, Pepite Dor. C’était à la piste d’exposition de Bonaventure.

La première victoire de Louis-Philippe en tant que conducteur est également survenue sur la piste d’exposition de Gaspé, soit à Pabos, aux guides de l’ambleur Golden Vanity. Il s’agissait de son deuxième départ seulement. Il a terminé premier de sa course initiale, encore avec Golden Vanity, à la piste de Nouvelle, mais fut disqualifié et placé deuxième par suite d’une interférence dans le tournant final.

Un achat de 2 000 $ que Pierre-Luc a aussi mené à la victoire, Golden Vanity p, 1:56.4h (54,744 $) s’est avéré le premier bon cheval suite au retour de Jean-Marc dans le sport, un multiple gagnant qui en est venu éventuellement à graduer du circuit des expositions pour passer aux plus grosses pistes à Québec.

« Voyant les courses sur une plus grosse piste telle celle de Québec, voilà ce qui m’a emballé de ce sport, » dit Pierre-Luc, Ça semblait tellement grandiose. »

Sur le circuit des expositions, les frères ont souvent mené l’un contre l’autre, et bien qu’ils sont et demeurent concurrents, leurs ambitions ont pris des directions différentes.

Louis-Philippe est déterminé à réussir en tant que conducteur de relève, pour à la fin, gagner sa vie par les courses sous harnais. Pierre-Luc, quant à lui, ne considère plus que cela soit possible.

« J’aimerais avoir autant de succès que possible, évidemment, mais pour moi, cela consiste plus en un hobby, » dit Pierre-Luc, lequel entraîne les deux chevaux de la famille, dont l’un est un yearling d’élevage des Maritimes qu’ils espèrent courser dans les événements de l’Atlantic Sires Stakes. « Je suis allé en Ontario en 2011 et j’ai travaillé pour les entraîneurs Daniel Potvin et Dave Menary. J’ai beaucoup appris, mais j’ai aussi compris que je ne veux pas faire cela à temps plein. »

Louis-Philippe, qui a obtenu sa pleine et entière licence de professionnel l’an dernier seulement, a déjà fait un bon bout de chemin. Il a connu sa première victoire professionnelle à l’Hippodrome 3R en août 2014 lors d’une course pour ambleur de 4 000 $ aux guides d’un cheval nommé M G Kudos. Quelques jours plus tard, une autre première – son premier accident majeur.

Il a lourdement été projeté sur la piste, se causant une commotion cérébrale, après qu’un rival ait brusquement traversé devant son cheval, Iron Phil, dans le premier tournant.

« Mes parents et moi venions tout juste de partir de la piste, en route pour voir un cheval à une ferme, » dit Pierre-Luc. « Je regardais les courses sur mon téléphone, mais nous sommes entrés dans un secteur sans signal, alors je n’ai pas vu l’accident. Puis j’ai reçu un appel de la part d’un ami qui me dit ‘j’espère que ton frère va bien’. Nous avons immédiatement rebroussé chemin pour aller à l’hôpital. »

Louis-Philippe a reçu son congé la même journée et était de retour en course 10 jours plus tard. « J’avais hâte de revenir, » dit-il.

« Il n’avait pas de crainte, » d’ajouter Pierre-Luc. « Cela vous en dit beaucoup. »

Après avoir connu un modeste départ à l’Hippodrome 3R en 2015, Louis-Philippe s’est créé un momentum au fur et à mesure que la saison progressait, et dès le mois octobre, il s’était élevé au septième rang des conducteurs. Cela lui a valu une première invitation inattendue à participer au tournoi annuel des conducteurs de la piste devant se tenir le 11 octobre. Habituellement, seuls les six premiers sont invités, de même que deux conducteurs de l’extérieur pour compléter le peloton, mais les organisateurs ont décidé de changer le format cette année pour inclure les sept meilleurs de 3R.

Le plus jeune du peloton, Roy, est entré dans la course finale du tournoi en tête du groupe et sur la poussée de deux victoires consécutives. Un seul conducteur, Stéphane Gendron, avait une chance mathématique de le rattraper, et Gendron menait un favori à 40-1. Louis-Philippe avait tiré le favori à 3-5, Cliff Drummond, qui devait partir en deuxième ligne.

« Je ne tenais pas compte des points, mais avant la dernière course, j’ai entendu que j’étais en tête, » dit-il. « Je pensais que c’était dans le sac, » dit Pierre-Luc.

Pas tout à fait. Comme le peloton s’alignait pour le départ, Cliffr Drummond était loin derrière. Et c’est là où il est demeuré, à 20 longueurs de la barrière qui partait, à la stupéfaction des spectateurs.

« J’aurais pu inventer n’importe quelle excuse et faire porter le blâme au cheval, mais c’était de ma faute. J’étais inattentif. La barrière s’est éloignée de moi. Je voulais détendre le cheval, et non pas l’énerver, et j’ai tout mal évalué. Les deux minutes de la course furent les deux plus longues de ma vie. Dans mon for intérieur, elles m’ont paru comme 15 minutes, et je m’en suis voulu durant tout ce temps, » dit Louis-Philippe.

Cliff Drummond rattrapa éventuellement le peloton, mais termina sixième. Gendron finit quatrième se méritant le pointage dont il avait besoin pour vaincre Roy par un seul point.

« Même Hollywood n’aurait pu en arriver à une fin comme cela, » dit Pierre-Luc.

« Durant toute la durée du voyage de retour, les quatre heures et demie, je n’ai pensé qu’à cela, » dit Louis-Philippe.

Gagner le tournoi contre ce groupe de professionnels chevronnés, aurait consisté en un beau boni, mais Louis-Philippe dit qu’il était plus qu’heureux de sa campagne de 2015.

« J’ai obtenu plus de conduites que je n’en attendais. C’est difficile pour de jeunes gars de se tailler une place. »

La confiance que les entraîneurs lui ont manifestée a gonflé sa confiance en lui, et en novembre, il a commencé à courir à Rideau Carleton Raceway à Ottawa, espérant y tracer son chemin là aussi.

« Il a le talent et le tempérament pour le faire, » dit Pierre-Luc. « Gagne ou perd, bon ou mauvais, rien ne le secoue. »

Louis-Philippe dit que ce qui le fascine dans le sport « est sa préparation, sa stratégie, sa lecture de l’état d’esprit du cheval. Ce ne sont pas que les deux minutes. »

« J’aimerais pouvoir y gagner ma vie, si possible. C’est mon rêve. Pour le moment, j’essaierai de mener de front les deux tâches aussi longtemps que possible. C’est beaucoup d’efforts, mais ça en vaut la peine quand il s’agit de votre passion. »

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