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Jean-Claude Juncker interrogé en direct par la youtubeuse Laetitia Nadij.
YouTube

YouTube accusé de censure après une interview de Jean-Claude Juncker

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Publié le 20 septembre 2016 à 11h46, modifié le 20 septembre 2016 à 14h43

Temps de Lecture 69 min.

L’intervention ne dure que quelques secondes, et émane d’un responsable de YouTube : « C’est déjà une question très difficile à répondre pour M. Juncker, tu parles du lobby des sociétés. A un moment, tu ne vas pas non plus te mettre à dos la Commission européenne, et YouTube, et tous les gens qui croient en toi. Enfin, sauf si tu ne comptes pas faire long feu sur YouTube. »

Cette séquence, c’est Laetitia Nadji, qui anime une chaîne YouTube et un blog, qui l’a publiée sur les réseaux sociaux et sur sa chaîne. Ce 14 septembre, elle interviewait, avec deux autres youtubeurs, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, pour une session diffusée en direct sur la plate-forme de vidéos et sur Euronews. Mais, explique-t-elle, ses questions n’ont pas plu à YouTube, qui lui aurait suggéré de manière menaçante d’interroger le président de la Commission sur sa définition du bonheur, plutôt que sur la place des lobbys à Bruxelles. Un proche a filmé toute la scène, dont elle a rendu publics des extraits.

Très remontée, Mme Nadji explique dans la même vidéo avoir décidé de passer outre, et de poser les questions qu’elle avait coécrites avec des membres de sa communauté et des participants au collectif Osons causer. Des questions très sérieuses, sur le Brexit ou l’influence de Goldman Sachs et des milieux d’affaires à Bruxelles, qui détonnent par rapport au ton habituel de sa chaîne, d’ordinaire consacrée à des thématiques de développement personnel et d’environnement. Interrogée par Rue89, la vidéaste explique ne pas avoir voulu régler de comptes en publiant sa vidéo, mais qu’elle souhaite simplement que YouTube cesse de « menacer et d’instrumentaliser des youtubeurs ».

Au bout de sa démarche

Du côté de YouTube, l’histoire est différente. La filiale d’Alphabet (ex-Google) explique que c’est Laetitia Nadji qui a elle-même contacté YouTube pour préparer son interview. « [Laetitia Nadji] nous a sollicités pour des conseils sur la manière de les formuler. Notre collègue l’a encouragée à privilégier le respect à la confrontation et comme l’atteste sa vidéo de l’interview, elle a eu l’opportunité de poser toutes les questions qu’elle avait préparées. »

En effet, la vidéo complète de l’entretien, ainsi qu’une autre vidéo filmée par un proche de la youtubeuse, montre la jeune femme posant ses questions normalement, et se félicitant après l’interview d’être allée jusqu’au bout de sa démarche. La présentatrice de l’événement lui dit que « c’était très bien », tout en remarquant que la jeune femme « a changé toutes les questions ». On entend aussi Laetitia Nadji dire, visiblement soulagée : « J’ai l’impression qu’ils ne sont pas fâchés. Personne n’est fâché. »

Excès de zèle ?

Joint par Le Monde, Jonas, le jeune youtubeur allemand qui a, lui aussi, pu poser des questions à Jean-Claude Juncker, affirme pour sa part n’avoir fait l’objet d’aucune pression. « Dans mon cas, l’entretien était très détendu. J’ai pu poser toutes les questions que j’avais préparées à l’avance avec l’aide des commentateurs sous mes vidéos, sans restrictions », explique-t-il. Même son de cloche chez le troisième vidéaste participant à l’émission, le Polonais Lukasz Jakobiak pour qui « personne, ni de la Commission européenne ni de Google, n’a interféré avec le contenu des questions » qu’il avait préparé.

Laetitia Nadji a-t-elle été la victime d’un excès de zèle d’un salarié ? De sexisme, comme elle le sous-entend dans sa vidéo ? La youtubeuse n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde.

Un élément de contexte extérieur pourrait en tout cas expliquer une certaine fébrilité chez YouTube. Le 14 juillet, la Commission européenne a ouvert deux nouvelles enquêtes contre Alphabet-Google, la maison mère du site de partage de vidéos, pour abus de position dominante.

Proposition de contrat

Après l’entretien, la vidéaste s’est vu proposer de devenir « ambassadrice YouTube » durant un an. Un contrat prestigieux dont rêvent de nombreux youtubeurs, qui permet de financer de nombreux projets. La jeune femme explique avoir refusé, y voyant une nouvelle tentative de pression – plus « amicale » cette fois. Du côté de Google, on explique que cette proposition faisait suite à de précédentes collaborations avec Laetitia Nadji.

Séance de selfies après l’interview.

L’affaire illustre en tout cas le statut complexe des interviews de personnalités politiques sous la houlette de YouTube. Depuis plusieurs années, des personnalités du site sont invitées chaque année à interroger le président des Etats-Unis. C’est, à chaque fois, YouTube qui choisit les intervieweurs. Avec, parfois, des moments étranges – Lukasz Jakobiak a ainsi débuté son entretien en faisant un peu de publicité à sa chaîne personnelle. « Le but de tout ça, c’était de faire une grosse publicité à Juncker », accuse de son côté Laetitia Nadji dans sa vidéo.

Exercice étrange

Autre élément de doute : les invités de ces sessions connaissaient-ils le contenu des questions qui leur seraient posées ? En préambule de l’interview, la présentatrice explique que Jean-Claude Juncker, « comme Barack Obama », n’a pas reçu les questions à l’avance. « Cela tombe bien, je n’aime pas les interviews préparées », dit le président de la Commission. Mais dans la séquence filmée en caméra cachée par un proche de Laetitia Nadji, l’employé de YouTube à qui elle parle lui dit qu’une de ses questions peut être un red flag (« drapeau rouge ») pour les équipes de Bruxelles – en clair, qu’il y a un risque qu’ils s’y opposent. Les questions ont-elles été transmises à l’avance ? YouTube le dément catégoriquement.

Extrait de la vidéo de Laetitia Nadji.

Jean-Claude Juncker semble, lui aussi, avoir trouvé l’exercice étrange – au point de croire que les personnes qui l’interrogeaient étaient salariées de YouTube. Lorsque Lukasz Jakobiak a demandé au président de la Commission s’il connaissait sa chaîne YouTube, M. Juncker a hésité un instant, avant de répondre : « Je sais des choses sur vous, parce que j’ai posé des questions. Quand je rencontre des lobbyistes comme vous, je préfère savoir à qui j’ai affaire. »

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