Automutilation chez les jeunes

Un phénomène fréquent

Un jeune sur dix se mutilerait, et la prévalence de ce comportement serait à la hausse. Pourquoi ? Et surtout, comment intervenir ? Deux psychologues abordent ce sujet encore tabou dans un nouveau livre pour outiller les parents et les professionnels.

Dans leur livre, 10 questions sur l’automutilation chez l’adolescent et le jeune adulte, les psychologues Vanessa Germain et Édith St-Jean-Trudel expliquent d’entrée de jeu que l’automutilation peut prendre plusieurs formes. Elles s’intéressent de plus près à la manifestation la plus médiatisée : l’automutilation superficielle de type impulsive, ou « les jeunes qui se coupent les poignets, l’intérieur des cuisses, les bras… », résume Édith St-Jean-Trudel, psychologue en cabinet privé. 

Ce comportement bouleverse les parents des jeunes concernés, mais les psychologues le voient ainsi : l’automutilation, c’est un symptôme. Un moyen d’exprimer une souffrance.

« L’automutilation sert à beaucoup de choses pour le jeune. Ça sert à éviter une douleur psychique trop intense, mais aussi à communiquer. Certains veulent changer le mal de place. »

— Édith St-Jean-Trudel, psychologue

« Une jeune me disait “ça me change les idées de m’occuper de ma plaie”. D’autres vont vouloir se reconnecter en se coupant, ou se punir, comme après une journée où ça ne s’est pas bien passé à l’école », énumère la psychologue.

En hausse

Les auteurs estiment qu’environ 10 % des jeunes se mutilent. N’est-ce pas beaucoup ? « Il faut prendre les statistiques avec un bémol parce que certaines études ont des définitions de l’automutilation qui varient les unes des autres. On a regardé plusieurs études d’une façon assez conservatrice, et un jeune sur dix qui se mutile, en Amérique du Nord, c’est assez réaliste », explique Édith St-Jean-Trudel, avant d’ajouter que les spécialistes notent une augmentation des jeunes touchés par ce comportement. 

« Une des causes [de cette hausse] pourrait en partie être liée à l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux, souligne la spécialiste. Il ne faut par contre pas interdire la communication en ligne. Les relations sociales dans la vie d’un adolescent, c’est très important. L’envers de la médaille, c’est qu’il y a des centaines de sites internet qui parlent de l’automutilation, et certains vont même montrer comment s’automutiler, comment guérir la plaie… Il y a une espèce de contagion du phénomène [chez les jeunes qui sont plus vulnérables] », croit la psychologue.

Les éléments déclencheurs

Quels sont les jeunes le plus à risque ? Les origines de l’automutilation demeurent multifactorielles, précisent les auteures du livre. « Les causes sont nombreuses : un jeune qui a des problèmes relationnels, qui a des difficultés avec la gestion de ses émotions ou encore qui a vécu des traumatismes dans son enfance va être beaucoup plus à risque », explique la psychologue. 

La littérature scientifique tend à démontrer que les adolescents et les jeunes adultes sont plus nombreux à se mutiler. La croissance rapide, l’immaturité du cerveau et les relations parfois conflictuelles avec les proches expliquent aussi en partie la propension des jeunes à recourir à des gestes d’automutilation, ajoutent les auteures.

Comment réagir ?

« Lorsqu’ils découvrent que leur enfant se mutile, les parents sont complètement démunis, constate Édith St-Jean-Trudel. Ils vont parfois mal réagir. Ils vont vouloir enlever tous les objets contondants de la maison, bloquer l’accès à internet dans l’unique but de protéger leur enfant. Mais il ne faut pas l’isoler, il ne faut pas le priver, il ne faut pas le blâmer. Il faut lui parler, lui dire qu’on est là… » L’objectif : créer un climat où la discussion est ouverte, sans jugement.

« Quand la communication est ouverte avec notre jeune, on peut lui demander : “Est-ce que ça se peut que ce soit tel événement qui a déclenché ta mutilation ?” », expose la psychologue. L’intervention d’un professionnel est-elle nécessaire ? Oui, mais les jeunes de 14 ans et plus doivent consentir à ce suivi, explique la psychologue.

« La mutilation, c’est un symptôme de quelque chose de plus important. Il faut aller creuser et, oui, il est préférable de rencontrer un professionnel pour aider à déterminer les déclencheurs et aider le jeune à trouver des solutions, à gérer les émotions… c’est plus profond comme intervention. »

— Édith St-Jean-Trudel, psychologue

Un tabou

Si autant de jeunes sont touchés, comment expliquer qu’on en parle si peu ? « Ça reste tabou. Il y a de la culpabilité et de la honte chez les jeunes, mais chez les parents aussi. Si notre jeune ne va pas bien, on le cache, parce que ça signifierait qu’on est un mauvais parent. Qu’on a fait quelque chose de pas correct », constate Édith St-Jean-Trudel. 

Le portrait est toutefois plus nuancé. « À la défense des parents, l’adolescence peut être une période extrêmement difficile, tempère-t-elle. Les ados sont plus impulsifs. Ils sont plus immatures. Et si on ajoute à ça l’acceptation de leur image corporelle, le rapport aux pairs, les réseaux sociaux… Oui, dans certains cas le parent est responsable, quand il y a eu des abus et des traumas dans l’enfance, mais il y a des choses qui ne leur appartiennent pas. »

10 questions sur l’automutilation chez l’adolescent et le jeune adulte

Vanessa Germain et Édith St-Jean-Trudel, psychologues

Midi Trente Éditions

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.