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Ordre manifestement illégal et responsabilité des fonctionnaires

Cass crim 13 octobre 2004, publié au bulletin

Si l’affaire dite des "Paillotes" est exceptionnelle, elle n’en est pas moins l’occasion de rappeler une évidence : un fonctionnaire qui exécute un ordre manifestement illégal engage sa propre responsabilité pénale !

Nul besoin de revenir sur les faits qui ont valu à un préfet de la République et à des gendarmes d’êtres renvoyés devant le tribunal correctionnel pour l’incendie d’une paillote.

Rappelons simplement que sur le lieu du sinistre ont été retrouvés des tracts portant l’inscription "Y... balance des flics", ainsi que divers objets dont un poste de radio émetteur-récepteur encore allumé dont on découvrira ultérieurement qu’il appartenait au Groupe de pelotons de sécurité (GPS) placé sous l’autorité d’un capitaine de gendarmerie.

Au-delà du caractère rocambolesque de cette affaire, il reste des attendus de principes de la Cour de cassation qui précisent les contours de la responsabilité des fonctionnaires lorsqu’il exécutent des ordres manifestement illégaux.

"Attendu qu’en donnant l’ordre illégal de détruire par incendie des paillotes construites sans autorisation sur le domaine public, celles-ci seraient-elles devenues la propriété de l’Etat, Bernard X... ne saurait être considéré comme ayant satisfait, en sa qualité de préfet, à une obligation attachée à l’exercice de ses fonctions et exécutée pour le compte de l’ Etat ; qu’en outre, la reconnaissance, au plan civil, d’une faute de service imputable aux auteurs principaux des destructions ne fait pas obstacle à l’engagement de la responsabilité pénale de ces derniers ainsi que de celle du préfet pour complicité (...)

"Attendu que, pour écarter le fait justificatif du commandement de l’autorité légitime, prévu par l’article 122-4, alinéa 2, du Code pénal, l’arrêt attaqué, par motifs propres et adoptés, après avoir rappelé que Bernard X..., préfet de région, était une autorité légitime au sens du texte précité, relève que Henri A..., colonel de gendarmerie, n’a pu se méprendre sur le caractère manifestement illégal de l’ordre donné, y compris dans une situation de crise exceptionnelle, alors que les destructions ordonnées devaient se faire de manière clandestine, en utilisant un moyen dangereux sans requérir la force publique pour assurer la sécurité des personnes et des biens, et en laissant sur les lieux des tracts diffamatoires destinés à égarer les enquêteurs sur l’identité des auteurs des faits".

Les attendus de la Cour de cassation dans son arrêt du 13 octobre 2004 sont sans équivoque : le donneur d’ordre (le complice) et les exécutants (les auteurs) sont sans distinction pénalement responsables de leurs actes. Un fonctionnaire ne peut donc trouver dans l’ordre reçu une cause d’exonération de sa responsabilité pénale "y compris dans une situation de crise".

Tout au plus le juge pourra tenir compte de cet élément pour prononcer une peine adaptée à la personnalité du prévenu et aux circonstances de l’infraction (en l’espèce le colonel de gendarmerie a écopé de 30 mois de prison contre 36 mois pour le préfet).

Il ne s’agit pas là d’une nouveauté mais d’un rappel d’un principe à portée générale qui vaut aussi dans la gestion des collectivités locales (par exemple en matière de marchés publics). L’intérêt de l’arrêt de la Cour de cassation se situe plus sur le plan des conséquences civiles de l’ordre reçu : le fonctionnaire exécutant un ordre manifestement illégal est-il tenu personnellement d’indemniser la victime ? Quid du donneur d’ordre ?

 Commet une faute personnelle détachable du service dont les conséquences civiles ressortissent à la compétence des tribunaux répressifs le prévenu qui, n’ayant reçu d’ordre de quiconque, accomplit ou donne l’ordre d’accomplir, de sa seule initiative, des faits délictueux.

 Commet une faute de service dont les conséquences civiles ressortissent à la compétence des tribunaux administratifs le prévenu qui agit sur ordre, dans le cadre de ses fonctions, en usant des prérogatives, pouvoirs et moyens en résultant et sans poursuivre d’intérêt personnel.

Autrement dit si l’ordre reçu est sans incidence sur la responsabilité pénale du fonctionnaire qui l’exécute, il constitue une cause d’exonération de responsabilité sur le plan civil (dès lors qu’il n’a poursuivi aucun intérêt personnel). En revanche le donneur d’ordre engage son patrimoine personnel dès lors qu’il agi de sa propre initiative et ce quand bien même il n’aurait poursuivi aucun intérêt personnel.

Relevons enfin au passage que le préfet avait pu être confondu grâce notamment à l’enregistrement clandestin d’une conversation qu’il avait eue avec un gendarme. L’occasion pour la Cour de cassation de rappeler que "cette cassette, ayant fait l’objet d’une expertise qui a authentifié les propos tenus, a été soumise à la libre discussion des parties" et qu’en conséquence il pouvait constituer un des éléments probatoires soumis à l’appréciation souveraine des juges.