Les groupes du CAC 40 et le digital : le leurre du CDO, la solitude du DSI…

L’enquête exclusive menée par Best Practices (https://www.bestpractices-si.fr/publications/etudes/les-entreprises-du-cac-40-encore-timides-face-au-numerique) sur la place du digital dans la communication institutionnelle des groupes du CAC 40 met en exergue le fait que, pour accompagner la transformation numérique, plus de la moitié de ces entreprises ont fait le choix de désigner un ou plusieurs Chief Digital Officer (CDO).

Mais considérer ces CDOs comme des sauveurs est un leurre. Le « Chief Digital Officer » n’a statistiquement aucune chance de réussir le projet de transformation d’entreprise, si l’entreprise n’embrasse pas au préalable une culture digitale. Or, ce qui est le plus difficile à changer dans une organisation c’est d’abord son fonctionnement et ses métiers. Les experts savent qu’il faut, a minima, de 18 à 36 mois. Il y a encore plus difficile : la culture ! Il faut entre trois et cinq ans pour qu’une entreprise adopte une nouvelle philosophie de travail, au-delà de la mutation de ses pratiques et de ses compétences. Voilà pourquoi, nous affirmons déjà depuis plus de trois ans que, malgré des profils souvent impressionnants (normalien, polytechnicien, etc.) les CDOs vont se heurter aux véritables écueils de la transformation numérique.

En fait, très peu de CDOs ont la compétence et la légitimité, que ce soit face aux métiers (les « consommateurs de numérique ») ou à la DSI (le « producteur informatique »). D’ailleurs, l’histoire nous donne raison. Les fameux « e-Business Manager » du début des années 2000 avaient exactement la même mission ! Résultat : aucun n’a survécu au bout de trois à cinq ans (le temps qu’il faut pour changer une culture) et peu ont véritablement apporté quelque chose de concret à leur entreprise. Pour les CDOs, l’actualité récente nous donne déjà raison : six des dix CDOs les plus emblématiques ne sont déjà plus en poste : AccorHotels (Vivek Badrinath), Axa (Frédéric Tardy), Danone (Michael Aidan), La Poste (Nathalie Andrieux), Renault (Patrick Hoffstetter), SNCF (Yves Tyrode)… Et ce après moins de 18 à 24 mois d’activité en moyenne ! C’est une véritable hécatombe. Ce n’est certainement pas les profils, particulièrement brillants au demeurant, qui sont à mettre en cause.

Seul le groupe Saint-Gobain nous donne l’impression d’avoir compris cela et parle de culture numérique à commencer par les dirigeants. C’est rassurant !

Autre enseignement de l’enquête Best Practices, tout aussi révélateur de l’état d’esprit des dirigeants des groupes du CAC 40 : 90 % des DSI ne siègent pas au COMEX, en contradiction avec les résultats des dernières études académiques. Celles-ci ont clairement démontré que les entreprises qui ont leur DSI au sein de leur Comité Exécutif sont plus performantes que leurs concurrentes : force est de constater que la France est très en retard sur ce plan.

On sait que les entreprises les plus performantes ont les COMEX les plus « hétérogènes » (genre, génération, compétence, culture, etc.). Or, il a été démontré que le DSI contribue indéniablement à la diversité et que ce facteur est corrélé avec une performance d’entreprise plus élevée. Aussi, il est incompréhensible aujourd’hui que seuls 10 % siègent au COMEX, alors qu’ils sont quasiment 50% aux Etats-Unis. Dans ce domaine, seuls Axa, Engie, Essilor et Schneider Electric sont exemplaires.

Pour finir, si les entreprises du CAC 40 avaient une véritable compréhension des enjeux en matière de systèmes d’information (versus numérique), elles rattacheraient inéluctablement leur CDO au DSI et mettraient leur DSI systématiquement au COMEX !

Laurent Finck

Helping companies do business at the age of the Experience Economy, developing the industry 4.0 concept.

6y

Christophe, Merci pour ce billet qui, à mon sens, pose les vraies questions. Vos observations sur le CDO et sa durée de vie: N'est-ce pas là une preuve de plus que "Culture eats strategy for breakfast"? Pour que la culture change, il faut donner un sens au changement, il ne faut pas se contenter de le forcer. Pour donner un sens à la Transformation Digitale, donc au CDO, il faut donc commencer par se poser la question de "Pourquoi" changer ? C'est une responsabilité de CEO. La durée de vie du CDO serait-elle l'indicateur de la pertinence des stratégie digitales, de la gouvernance de la transformation poursuivie, et de l'existence d'une vision qui justifie le changement ?

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Karima Reisinger

LLM, PMP, DPO, Data Science, International Commercial Law, Data Privacy Laws.

7y

Le plus efficace serait de casser les sillos en ayant des comex members multi casquette. Aussi une action supplémentaire est de déconditionner les dirigeants de l'approche analytique. En les familiarisant à l'approche de la pensée complex (cf: Edgar Morin) alors leur nouvelle attitude rayonnera et agira comme catalyseur et accélérateur du changement vers la culture du digital.

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Merci Christophe pour cette prise de position très tranchée. Cela fait quelques moi que je pousse les CIO à s'intéresser à leur CMO et réciproquement. Pour moi c'est le couple qui porte le mieux le sujet de la transformation digitale côté experience client. Et s'ils arrivent à embarquer le DRH alors c'est une véritable équipe gagnante pour mener à mien la transformation interne. Qu'en pensez vous ?

Ce sont deux métiers différents mais complémentaire. La pertinence et le bon sens implique de les faire collaborer avec une vision commune. Il est indéniable que la DSI est aujourd'hui indispensable, il serait suicidaire qu'elle ne soit pas intégrée au COMEX d'une entreprise.

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Yves Détolle Fink Weil

Recently retired, Retraité depuis peu ...

7y

Le bon sens, rien que le bon sens... tangibiliser les investissements. Depuis quand un technologue peut porter les changements majeurs au sein d'une entreprise ? Poser la question, c'est déjà y répondre. La première étape est d'identifier et d'évaluer les gisements de profits potentiels, les réductions de coûts, les améliorations de services rendus, la contribution au plan stratégique. La seconde étape est d'évaluer pour chaque projet le plan de transformation et d'investissement, sa faisabilité, le ROI afin d'évaluer, planifier et mettre en évidence un plan global en partenariat avec les grandes organisations de l'entreprise. Sans démarche de cet ordre, sans un plan sollicité et piloté par la direction générale, sans une gouvernance stratégique, ce poste ne servira à rien, si ce n'est de la mesurette à 3 sous qui ne satisfera que des conversations de salon ou un effet de mode.

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