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Opposées depuis 1949, la Chine et Taïwan se retrouvent « en famille »

Les présidents de la Chine populaire et de Taïwan se sont entretenus lors d’un sommet historique, samedi à Singapour.

Par  (Pékin, correspondant)

Publié le 07 novembre 2015 à 11h18, modifié le 07 novembre 2015 à 12h38

Temps de Lecture 6 min.

Les présidents chinois, Xi Jinping (à droite), et  taïwanais, Ma Ying-jeou, à Singapour, le 7 novembre. (AP Photo/Wong Maye-E)

C’est sous haute sécurité que l’hôtel Shangri-La à Singapour a accueilli samedi le président taïwanais, Ma Ying-jeou, et son homologue de Chine populaire, Xi Jinping, pour une rencontre historique au sommet entre les deux Chines ennemies, la « nationaliste » issue du régime en exil de Tchang Kaï-chek et la « communiste ». Le président taïwanais est arrivé de Taipei le matin même dans un avion rempli de journalistes, accompagné par des avions de chasse de l’armée taïwanaise. Le président chinois effectue, lui, depuis la veille, une visite officielle à Singapour.

Avant de s’asseoir autour d’une grande table ornée de bouquets de fleurs multicolores, M. Ma, cravate bleue, et M. Xi, cravate rouge, se sont longuement serré la main sous les objectifs des caméras devant une cohue de journalistes, en tant respectivement que dirigeants de Taïwan et de Chine continentale – pour ne pas surseoir au principe « d’une seule chine, mais chacune avec son interprétation », selon lequel le rapprochement actuel a abouti, au terme d’une série de rencontres régulières depuis 2008. Pékin continue de considérer Taïwan comme une province renégate et a passé en 2005 une loi antisécession qui autorise le recours à la force pour la récupérer.

Création d’une « hotline »

S’adressant à « Monsieur » Ma, Xi Jinping a insisté sur l’occasion historique que représentait leur rencontre, et rappelé que « les deux rives du détroit forment une même et unique famille, qu’aucune force ne peut séparer » – une phraséologie typique dans la bouche des dirigeants communistes. « L’histoire nous a laissés avec des conflits non résolus », a répondu le président Ma Ying-jeou, appelant à un « respect mutuel des valeurs et du mode de vie » de chaque entité. M. Ma a énuméré une série de points et appelé à la création d’une « hotline » entre les deux Chines. Les deux dirigeants et leurs délégations ont ensuite poursuivi les entretiens à huis clos.

Seul le président taïwanais s’est livré à l’issue de l’entretien à l’exercice de la conférence de presse – la Chine ayant laissé s’exprimer son représentant pour les affaires taïwanaises Zhang Zhijun, qui s’est retrouvé sous le feu des critiques des journalistes taïwanais dont il esquivait les questions.

Rayonnant, et visiblement content de son entretien avec le président chinois, Ma Ying-jeou a loué une « atmosphère très amicale » : « c’était très positif. J’ai trouvé Xi très pragmatique, flexible et franc dans nos discussions », a-t-il déclaré. Parmi les points mis en exergue devant les journalistes, le président taïwanais s’est félicité d’avoir pu mettre sur la table des questions primordiales pour Taïwan, comme la présence de missiles chinois dirigés contre l’île – M. Xi a botté en touche, répondant que les missiles ne ciblaient pas particulièrement Taïwan – ou encore les interférences de la Chine chaque fois que des Taïwanais veulent rejoindre des organisations internationales ou lorsque Taïwan cherche à prendre part à des activités régionales. Enfin, il a pu parler en détail du « consensus de 1992 » – la notion que les deux côtés reconnaissent « une seule Chine, mais avec des interprétations différentes ».

« Ma Ying-jeou a gagné avec cette rencontre une posture internationale qu’il n’avait pas », analyse Stéphane Corcuff, de l’antenne à Taipei du Centre d’Études sur la Chine contemporaine (CEFC). « Et cette conférence de presse lui a permis de marquer un point pour le camp de Taïwan – alors que Xi Jinping, lui, n’en a pas donné. Il est très rare pour un président taïwanais de bénéficier d’une telle attention internationale. Et ça lui a permis de dire tout haut à la Chine des choses essentielles pour les Taïwanais, qu’il fallait que Pékin entende : la nécessité pour la Chine de respecter la dignité de Taïwan, le fait que la Chine bloque Taïpei dans les instances internationales, et même les missiles », poursuit le chercheur. « Quand au consensus de 1992, le point de vue du KMT sur une Chine, et deux interprétations progresse – la Chine ayant toujours eu du mal avec la deuxième partie de la proposition. Ce qui laisse penser que le statu quo a de beaux jours devant lui », ajoute M. Corcuff.

Terrain neutre, qui se prévaut de bonnes relations avec les deux Chines, la cité-Etat de Singapour fut déjà le théâtre en 1993 des premières rencontres sino-taïwanaises depuis la guerre civile, alors entre deux associations semi-officielles créées pour l’occasion. Celles-ci établirent un cadre à l’ouverture de la Chine aux capitaux et aux ressortissants taïwanais, qui, accueillis en Chine depuis la fin des années 1980, contribuèrent pour une très large mesure au décollage économique chinois.

Opportunités et menace

Vingt-deux ans après, la Chine, deuxième puissance économique mondiale, est vue autant comme une terre d’opportunités pour les géants industriels taïwanais que comme une menace dans une île, Taïwan, qui proscrit les investissements chinois et contrôle au plus près l’afflux des « compatriotes » de Chine continentale. C’est pour desserrer cet étau que le président Ma Ying-jeou, chef de file du Kouomintang (KMT), a promu la signature avec la Chine en 2010 d’un accord de libre-échange – dont le deuxième volet, qui porte sur les services, reste bloqué depuis les protestations étudiantes massives de mars 2014. Car, en jouant la carte du rapprochement avec la Chine, M. Ma a aussi incarné un KMT accroché à la chimère d’une grande Chine et déconnecté des aspirations – ou des appréhensions – d’un nombre croissant de Taïwanais, comme l’a montré la débâcle du KMT aux municipales de 2014 et les scores abyssaux de ce parti dans les sondages pour la présidentielle et les législatives de janvier 2016.

Ma Ying-jeou s’est engagé avec Pékin dans une danse que beaucoup voient avec suspicion, tant elle peut se révéler un marché de dupes. A Taipei, les réseaux sociaux se sont ainsi embrasés après avoir découvert que la télévision centrale chinoise CCTV avait « flouté » le drapeau de Taïwan que M. Ma portait au revers de son veston lors de sa conférence de presse du 5 novembre. « Les Taïwanais voient de plus en plus le resserrement des liens économiques avec la Chine comme une menace à l’égard de leur autonomie politique et culturelle », a noté dans une tribune du New York Times l’ancien leader de Tiananmen Wuer Kaixi, exilé à Taïwan, où il s’est porté candidat, en indépendant, aux prochaines élections législatives. M. Wuer voit dans le sommet Ma-Xi le triomphe d’une « politique du cynisme », par laquelle la Chine s’est imposée en intermédiaire dans le processus électoral taïwanais.

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Alors qu’une centaine de manifestants ont tenté en vain vendredi soir de prendre d’assaut le Parlement à Taipei, le sommet Xi et Ma a été dénoncé par l’opposition, notamment sa principale force, le Parti démocrate progressiste (DPP dans son acronyme anglais), comme une manipulation et un risque pour la démocratie en raison de son caractère soudain et de l’absence de supervision démocratique, une critique que Ma Ying-jeou a rejetée lors de la conférence de presse du 5 novembre, arguant qu’il œuvrait en toute transparence.

Le DPP et sa candidate, Tsai Ing-wen, sont favoris pour les élections présidentielle et législatives de janvier 2016. Mme Tsai a rappelé vendredi dans un long communiqué que la rencontre devait se dérouler selon le triple principe du « respect mutuel », de la « transparence » et en dehors de toute « précondition ». « Nouer des liens pacifiques et stables avec la Chine ne devrait être soumis à aucune condition préalable », a-t-elle précisé sur sa page Facebook ce matin – une allusion à l’insistance du PCC et du KMT pour ne pas s’écarter du dogme de la Chine unique. Le DPP, qui mène une politique plus apaisée vis-à-vis de la Chine par rapport aux années de la présidence Chen Shui-bian (2000-2008), n’en est pas moins honni par la Chine pour ses positions « indépendantistes ».

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