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On a testé pour vous «Mashable» France

La déclinaison française du «pure-player» américain a été lancée ce mardi, en partenariat avec France 24. Première visite.
par Juliette Deborde
publié le 8 mars 2016 à 17h23

La version francophone du «pure-player» high-tech Mashable a été lancée ce mardi, en partenariat avec France 24. Libération s'est penché sur ce nouveau venu parmi les sites d'information, accessible au bout de ce lien.

Qu’est-ce que c’est «Mashable» France ?

Lancé ce mardi, il est le fruit d'un partenariat entre la chaîne publique d'info France 24 et le site d'info américain, annoncé l'été dernier. MashableFR (visiblement, c'est comme ça que ça s'écrit) a pour ambition d'«informer, inspirer, divertir la génération connectée», si l'on en croit sa description Twitter. Dans un édito de bienvenue publié ce matin, Sylvain Attal, directeur adjoint de France 24 chargé des nouveaux médias, présente le site comme «un média culturel» donnant une place de choix à la technologie, et dit vouloir proposer une «offre nouvelle, exigeante et séduisante», mixant reportages produits par les journalistes de France 24, traductions d'articles venant des autres versions de Mashable, et contenus originaux «produits par une équipe de jeunes et talentueux journalistes».

Les habitués du Mashable américain ne seront, à première vue du moins, pas vraiment dépaysés. La déclinaison française reprend la présentation de la version d'origine («header», «rubricage»). La marque France 24 est elle aussi bien visible, à commencer par l'URL (Mashable.france24.com), et le logo de la chaîne de service public, qui est accolé au titre. En haut à droite, un petit onglet déroulant renvoie vers le site de la chaîne, mais aussi vers les autres adresses de Mashable : Etats-Unis, Asie, Australie, Inde, Royaume-Uni.

Détail qui peut avoir son importance : Mashable se prononce «Mashabeul», précise l'édito, avec «l'accent tonique porté sur la première syllabe». Pour ceux qui ont fait anglais LV2, sachez tout de même que les prononciations «plus "françaises" sont également acceptées». Nous voilà rassurés.

A qui ça s’adresse ?

La déclinaison francophone de Mashable assume : son cœur de cible, c'est «la génération connectée», «Y» et bientôt Z, les «millennials», les «digital natives». Comprendre tous ces vingtenaires qui s'informent surtout par les réseaux sociaux et délaissent les médias traditionnels, fatigués «d'un certain ronron journalistique […] un peu paternaliste et sentencieux», peut-on lire dans le texte de Sylvain Attal (les confrères apprécieront). L'illustration de son édito inaugural, une photo à peine clichée tirée d'une banque d'images en ligne, présente d'ailleurs deux jeunes gens, lunettes branchées sur le nez, casque sur les oreilles, et barbe de trois jours pour le garçon. Pas sectaire, Mashable France dit aussi s'adresser à «tous ceux qui pensent comme [la génération connectée] au lieu de ratiociner sur sa prétendue immaturité».

Que peut-on y lire ?

Un rapide coup d'œil sur la page d'accueil donne une impression de fouillis, impression confirmée à la lecture. Comme sur la version américaine, on ne sait pas trop où donner de la tête. Les articles sont répartis en trois rubriques («nouveau», «en hausse» et «populaire»), calquées sur le découpage existant sur le site américain, mais sans grande cohérence. La faute, sans doute, à un algorithme encore à peaufiner, des articles publiés plusieurs jours auparavant arrivent en tête de la première rubrique, censée pourtant mettre en avant les contenus récents. Le reste est à l'avenant : on trouve par exemple en tête des rubriques «en hausse» et «populaire» des contenus qui affichent à peine… trois ou quatre partages. En scrollant, pour faire défiler la page d'accueil, on tombe même assez rapidement sur des contenus carrément datés («Taylor Swift et Kendrick Lamar, les grands gagnants des Grammys 2016», publié le 16 février, ou «Jude Law dans la "jungle" de Calais pour soutenir les migrants», daté du 22 février).

Sur le fond, on est dans un mélange assumé de divertissement et d'information : à l'actualité chaude se mêlent des astuces techno («10 erreurs à ne plus commettre avec sa boîte Gmail» ; «9 extensions Google Chrome qui vont vous faciliter la vie»…) et des contenus viraux («"Game of Thrones" fait sa promo dans les Alpes françaises» ; «Ils l'ont fait : installer un toboggan dans une maison»). Le tout accompagné d'un peu de «clickbait», ces titres faits pour appâter le lecteur. Florilège (attention, la souris va vous démanger) : «Le visage de votre futur bébé imprimé en 3D va vous faire faire des cauchemars» ; «Les parcs nationaux américains comme vous ne les avez jamais vu» ; ou encore «Ce fanfilm de "Star Wars" pourrait être le meilleur qui n'ait jamais existé».

En tête du «header» mardi matin à l'ouverture du site, on nous invitait à une immersion exclusive dans le nouveau QG d'Apple dans la Silicon Valley. Une traduction d'un article publié la veille sur la version américaine. A y regarder de plus près, les traductions représentent une bonne partie des contenus. Les lecteurs de la version originale retrouveront donc pas mal d'articles qu'ils ont déjà lus en anglais, parfois plusieurs mois auparavant, mais qui ont au moins le mérite d'être plutôt bien traduits. L'article «Ces fruits et légumes à faire pousser dans votre appart» a par exemple été publié initialement sur la version américaine… en juin 2015.

On reste un peu sceptique devant la rubrique «monde», qui semble avoir été ajoutée là pour rappeler le partenariat avec France 24. On y trouve surtout de la dépêche AFP améliorée et des papiers sur la politique française qui semblent avoir été rangés ici faute de rubrique dédiée («Les manifestations étudiantes, cauchemar des gouvernements» ; «Les Calaisiens manifestent à Paris pour demander l'aide de l'État»…) Si la promesse de traiter d'actualité internationale avec une cible «jeune» pouvait faire rêver à des formats et des angles originaux, façon Vice News (qui officie depuis un an et demi sur France 4), on est ici très loin de cet esprit. Difficile de trouver les innovations «dans les formes du récit» dont parle le directeur adjoint de France 24 dans son édito, à part peut-être cet article à la première personne. On peut aussi regretter le manque flagrant de contenus maison. A l'exception, il faut le mentionner, d'une enquête poussée, signée de la journaliste Emilie Laystary, sur la place des femmes dans le milieu du hacking et de la cybersécurité.

Sur les réseaux sociaux, où le nouveau venu a été accueilli à bras ouverts par la profession mardi matin, plusieurs internautes émettent quelques réserves (ici ou encore ), reprochant à la version française de se contenter de traduire des contenus publiés sur Mashable outre-Atlantique. Sur Twitter, un journaliste s'interroge également sur l'utilisation de la redevance audiovisuelle perçue par France 24, et donc de l'argent des contribuables, pour financer un tel projet, venant concurrencer les sites français.

C'est déjà ce qu'évoquait Libération dans un édito publié en août, évoquant des sites d'info «uberisés» par l'Etat.

Pour aller plus loin :

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