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Quelle place dans l'Histoire pour François Hollande ?

HO/AFP

FIGAROVOX/CHRONIQUE - Anne-Sophie Letac a écouté l'émission La Fabrique de l'Histoire à laquelle était invité le président de la République. Dans un élan de sincérité, François Hollande a avoué être hanté par la trace qu'il laisserait dans l'Histoire.


Ancienne élève de l'école Normale supérieure, Anne-Sophie Letac enseigne en classes préparatoires. Elle tient une chronique sur FigaroVox.


Qui a dit: «L'histoire doit reconnaître les blessures mais ne pas blesser davantage»? Et «Nous faisons l'histoire, nous ne la racontons pas… Je fais l'histoire... Le Français fait sa propre histoire»? Vous chauffez. Et «Je ne suis pas pour une conception de l'histoire et de la mémoire qui viendrait attiser les divisions»? Vous brûlez. Et encore: «Président, nous ne faisons pas que rappeler l'histoire, nous la faisons, en tout cas nous tentons de la faire, non pas forcément seul, puisque l'histoire, elle ne se fait pas simplement par les dirigeants d'un pays, elle se fait aussi par les peuples, elle se fait aussi par le monde qui nous entoure»? Bravo, vous avez trouvé, c'est François Hollande, Président de la République en fonction, invité le 24 mai dernier par Emmanuel Laurentin à évoquer son «imaginaire historique» dans l'excellente Fabrique de l'Histoire sur France Culture. Pourtant, même une personne absorbée par une tâche routinière, écoutant la radio d'une oreille distraite, ne pouvait que sursauter à cette définition intempestive.

C'est que l'histoire, même si elle n'est pas une science «dure» comme les mathématiques, n'en est pas moins une «science humaine» qui étudie des objets délimités par des chercheurs et obéit à des règles précises. Le premier piège que l'apprenti historien apprend à déjouer, c'est celui de l'anachronisme, qui consiste à extraire l'objet d'histoire de son contexte pour le projeter dans le temps où on l'examine. Le second, c'est celui de la confusion entre la mémoire, qui relève de la subjectivité, et l'histoire, qui repose sur l'examen critique des sources et tente d'atteindre une forme d'objectivité. Emmanuel Laurentin rappelle le mot de Lucien Febvre «L'histoire, c'est faire des choix». C'est vrai, à condition de maîtriser les outils de l'historien, et de ne pas être à la fois acteur et commentateur.

Le politique manipule aussi l'Histoire sans vergogne, comme en témoignent les lois mémorielles et les commémorations, qui vont à l'opposé de la démarche historique.

Or, s'interroge l'esprit étroit de la ménagère à l'éponge, qui est l'invité d'Emmanuel Laurentin? Un président historien, ou un objet d'histoire? Soit François Hollande s'inclut dans une communauté scientifique, mais il est fort rare que l'historien s'étudie lui-même, sauf à prendre de grandes précautions déontologiques. Soit il s'autoproclame sujet ou objet d'histoire («je fais l'histoire»), bien avant que l'historien et surtout le temps n'aient pu en décider, mais c'est un raccourci périlleux, à moins d'être Staline ou Kim Jong Un. Même un conseiller remarquable ne saurait accélérer le processus.

Certes, le politique se mêle souvent d'histoire et sa geste l'y ancre inévitablement, telle la rencontre du Général de Gaulle et du chancelier Adenauer, ou la main d'Helmut Kohl rencontrant celle de François Mitterrand. Mais il la manipule aussi sans vergogne, comme en témoignent les lois mémorielles et les commémorations, qui vont à l'opposé de la démarche historique. Quand François Hollande reçoit quatre résistants au Panthéon, et en profite, en pleine réforme du collège, pour prêter à Jean Zay l'invention des enseignements interdisciplinaires, il pratique sciemment la confusion. Lorsqu'il se sert de la bataille de Verdun comme d'un symbole de l'amitié franco-allemande, il écrase le récit historique au profit d'un «présentisme» forcené, quel que soit le bien-fondé de cette amitié. La violence et le sacrifice des combats de Verdun deviennent incompréhensibles, les soldats qui luttaient contre la barbarie de l'ennemi sont, au delà de la mort, pieds et poings liés à une démarche qui les surprendrait peut-être beaucoup.

Dans un élan de sincérité, le Président avoue être hanté par la trace qu'il va laisser, et se console en affirmant qu'un homme politique « décrié » et « repoussé » peut devenir un héros. Il entretient ainsi une confusion particulière entre l'Histoire et son propre destin.

On se souvient que le président inaugura son mandat par un hommage à Jules Ferry, dans le but de célébrer l'unité nationale et l'école républicaine. Des esprits bien intentionnés lui objectèrent que Ferry était convaincu du devoir des «races supérieures» de civiliser les «races inférieures». Pensant s'extraire du bourbier où il avait mis les pieds, le Président dissocia prestement le Ferry colonial du Ferry scolaire, qualifiant la défense de la colonisation de «faute morale et politique». Aux yeux de l'historien, rien n'est plus anachronique que cette condamnation, puisque Jules Ferry, comme une majorité de ses contemporains, ne sépare pas œuvre coloniale et scolaire, qui sont perçues comme les deux faces d'un même patriotisme.

Dans un élan de sincérité, le Président avoue être hanté par la trace qu'il va laisser, et se console en affirmant qu'un homme politique «décrié» et «repoussé» peut devenir un héros. Il entretient ainsi une confusion particulière entre l'Histoire et son propre destin. Or, ce n'est pas parce qu'on se projette dans le passé -ou dans l'avenir- qu'on fait l'Histoire. En revanche, plutôt que de pratiquer l'Histoire à la Perec, avec une grande hache, peut-être serait-il juste que le Président fît coïncider son imaginaire historique avec sa pratique: pendant qu'on commémore, et peut-être à cause de cela, on poursuit la destruction du récit et l'éparpillement du savoir historique à l'école.

A la fin de l'émission, François Hollande dit à Emmanuel Laurentin: «Merci de la fabriquer, cette histoire, avec nous». Plaise au ciel qu'après s'être attaqué à l'histoire, le Président ne se pique de faire des expériences de chimie ou des modèles mathématiques.

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228 commentaires
  • TOCATA Jean

    le

    Sa place ?
    Une des dernières... comme pour sa popularité.

  • Bernard Pachot

    le

    Sa place ? Humoriste après l’almanach Vermot !

  • Sancho 1

    le

    Trace? Quelle trace? Il n'y aura pas de trace sinon celle d'une période non gouvernée par des individus qui n'ont d'intérêts, ou d'ambitions, que de leurs propres réélections!