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Comment élever des poneys pour les transformer en licornes ?

Les start-up françaises peinent à se métamorphoser en licornes, ces start-up mondiales valorisées un milliard de dollars. En mal de capitaux, parfois jugées trop « franchouillardes », elles prennent le mors aux dents.

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Peu de licornes françaises... Criteo est une des rares. ici, lors de son premier jour de cotation au Nasdaq en 2013. (2013, The Nasdaq OMX group Inc.)

Par Yves Vilaginés

Publié le 5 févr. 2016 à 07:00

En janvier, « Fortune » s’étonnait de voir autant de start-up françaises représentées à la Mecque de l’électronique, le CES de Las Vegas. « France is tech’s unexpected powerhouse », titrait le magazine américain. La France, usine à start-up technologiques, faut-il vraiment s’en étonner ? Fin 2014 déjà, Index Ventures annonçait la couleur avec son étude « Paris is back ». Ce fonds d’investissement, l’un des plus actifs sur l’Internet depuis une vingtaine d’années, est aujourd’hui le premier « éleveur de licornes » en Europe. Une licorne est une entreprise de moins de dix ans valorisée plus de 1 milliard de dollars. Le portefeuille d’Index Ventures en compte une bonne dizaine en Europe, parmi lesquelles nos deux championnes tricolores Criteo et BlaBlaCar. « La technologie est universelle, affirme Martin Mignot, directeur de participations pour la France. Il n’y a donc aucune raison pour qu’un européen ne devienne pas leader mondial. »

15 ans de retard sur la Silicon Valley ou Israël

Sauf que, sur les 63 licornes nées en 2015 dans le monde, seules 8 sont européennes. Et que, jusqu’à présent, la plus grande écurie européenne de licornes est britannique, la deuxième suédoise, la troisième allemande. Visiblement, la France ne joue pas dans la même catégorie. A défaut de licornes, les box français comptent surtout des poneys, ces start-up d’au moins 10 millions de dollars de valorisation, et quelques centaures qui valent plus de 100 millions de dollars. Mais pour Franck Sebag, associé EY et spécialiste de l’entrepreneuriat, il ne faut pas désespérer. « On a les meilleures écoles d’ingénieurs et notre écosystème est hyperattractif, mais il en est à peu près au stade de développement de celui de la Silicon Valley ou d’Israël il y a quinze ans. »

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La France peut-elle combler son retard ? Et que manque-t-il encore à l’écosystème français pour cela ? La principale critique faite à l’écosystème tient souvent au manque de financement. Car le développement d’une start-up technologique et ambitieuse au niveau mondial requiert des appels de fonds réguliers et importants. Le spécialiste des fusions-acquisitions dans les technologies, GP Bullhound, a fait l’addition. Avant d’atteindre le milliard d’euros de valorisation, une licorne dans le B to C lève en moyenne 248 millions de dollars, et dans le B to B, 178 millions de dollars.

Le trou dans la raquette du financement des start-up

Alors y aurait-il un trou dans la raquette ou plutôt un trou dans la chaîne de financement des jeunes pousses en France ? « La raquette me paraît pas mal cordée, rassure Jean-Marc Patouillaud, associé chez Partech, autre grand fonds d’investissement actif des deux côtés de l’Atlantique. Il existait un trou dans l’amorçage, mais il s’est comblé avec la création de fonds thématiques sous l’impulsion de bpifrance, des réseaux de “business angels” et de l’engouement des particuliers pour le “crowdfunding”. S’il reste un trou, il est dans le capital expansion, ces opérations à plusieurs dizaines de millions d’euros. »

En clair, au début, entre les aides publiques et les fonds privés, les entrepreneurs n’ont pas de mal à trouver des fonds. C’est plutôt au troisième tour de table que les choses se compliquent. Nicolas d’Hueppe, président de Cellfish et vice-président de CroissancePlus, acquiesce, mais pour lui tout n’est pas qu’une question d’argent. « C’est plus dur de lever 10 millions en France qu’aux Etats-Unis. Mais la plupart des dossiers tels qu’on les présente n’auraient pas ces 10 millions aux Etats-Unis, pour des questions d’ambition, de méthodologie et d’expertise. » Et de pointer le manque d’ouverture du management à l’international, mais aussi la difficulté des jeunes pousses françaises à attirer les talents internationaux, notamment à cause des règles fiscales confiscatoires sur l’octroi d’actions aux dirigeants.

le marché français est un piège, trop grand et trop petit

Trop franchouillardes nos start-up ? Martin Mignot d’Index Ventures observe pourtant une franche amélioration. « Les entrepreneurs français qui parlaient mal anglais et avaient peu d’expérience à l’étranger, c’est fini. Aujourd’hui, ils sont plus “born global”. » Cependant, il ne suffit pas de penser global, de développer son produit ou son service d’emblée pour un marché mondial… encore faut-il pouvoir aller plus vite hors de nos frontières, et pour cela il faut lever de l’argent, beaucoup d’argent… la licorne se mord la crinière. « Le marché français est un piège, trop grand et trop petit à la fois, complète Nicolas d’Hueppe. On a tendance à attendre la preuve de concept en France avant d’aller à l’international. Et on prend du retard. » Nombreuses sont, en effet, les start-up françaises créées quasi au même moment que leurs concurrentes américaines, et même scandinaves ou britanniques, finalement prises de court, à l’instar de KissKissBankBank dans le « crowdfunding ».

le fondateur de Skype mise sur l'Europe

Sur tous ces fronts, les lignes bougent. Lors d’une conférence récente à Munich, l’entrepreneur suédois Niklas Zennström, cofondateur de Skype, se voulait très optimiste. Alors que les valorisations des start-up américaines subissent une forte correction, pour lui, l’Europe sera épargnée. Et d’assurer que désormais les start-up européennes attirent les managers de talent capables de les faire rapidement grandir. Du côté des investisseurs, plusieurs fonds de croissance viennent d’être bouclés avec succès. Les fonds européens sont aussi plus souvent associés à des grosses levées de fonds en pool, à l’image, par exemple, de la levée de 28 millions de dollars réalisée en septembre 2015 par PeopleDoc auprès d’Eurazeo aux côtés d’Accel et de Kernel Investissements.

En France, les réussites récentes servent d’exemple. Une émulation se crée. « Nos premiers deals ont été réalisés en Scandinavie, explique l’investisseur Martin Mignot. Les premiers succès nous ont amené des connexions, et d’autres projets. C’est ce qui se passe actuellement en France. Un réseau se crée, on tire une pelote. » La première génération des entrepreneurs français de l’Internet, celle de Xavier Niel, a largement réinvesti dans la création de start-up. La seconde, celle de Jean-Baptiste Rudelle, voit encore plus grand. Le fondateur de Criteo est ainsi à l’origine du projet Galion, une communauté d’entrepreneurs « dont l’ambition est de changer le monde ».

Yves Vilaginés

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