Corps meurtris, différents ou d'âge vénérable: de nombreuses femmes osent poser pour des photos sensuelles de type boudoir dans un processus d'acceptation de soi. Un phénomène qui touche aussi ces messieurs avec l'émergence du «dudoir». En dehors du cliché du cadeau coquin de Saint-Valentin, la photo boudoir peut-elle être thérapeutique?

Sylvie*, 53 ans, sort son album photo avec fébrilité dans un café du quartier Ahuntsic. Rapidement, elle parcourt les pages en chuchotant comme une gamine qui a commis un mauvais coup.

La voilà qui pose dans une robe de soirée, puis en porte-jarretelles, ou encore dans une chemise entrouverte sur un soutien-gorge de dentelle.

De nature très réservée, Sylvie a eu l'idée de s'offrir une séance de photos boudoir après s'être fait retirer l'utérus, une opération qui lui a légué une vilaine cicatrice et « un besoin vital de retrouver la femme » en elle.

Deux ans plus tard, la jeune grand-mère semble encore surprise par son audace. «L'impact que ça a eu dans ma vie, c'est fou», raconte-t-elle, les yeux brillants.

C'est en se voyant ainsi sur papier glacé qu'elle dit être finalement parvenue à «accepter la femme» qu'[elle] était devenue, imperfections incluses.

Sylvie enchaîne avec les petits et grands changements qui se sont produits depuis, de sa façon de s'habiller jusqu'à son retour aux études, en massothérapie.

«Mais l'élément déclencheur, ç'a vraiment été les photos, insiste-t-elle. C'est très thérapeutique.»

Valérie*, 43 ans, évoque pour sa part un moment «libérateur». Depuis qu'une blessure tenace l'empêchait de s'entraîner, la sportive voyait son poids grimper, alors que sa confiance en elle dégringolait.

C'est dans le but de faire face à ses complexes - et après avoir bu d'un trait un verre de vin pour se donner du courage - qu'elle a posé presque nue chez un photographe.

À la vue de ses portraits, elle a éclaté en sanglots. «Je voyais quelqu'un qui, oui, a des courbes, qui est en chair, mais qui n'est pas un monstre.»

Sensuelles plutôt que sexuelles

Révéler sa peau devant un appareil photo pourrait-il vraiment aider à mieux s'y sentir? Précisons d'abord que les photos de type boudoir n'ont pas grand-chose à voir avec les légendaires calendriers de garagistes.

Dépassées, les poses avec un fond noir, une colonne ou des pétales de roses, confirme Pascal Rameux, qui compte plus de 20 ans d'expérience derrière l'objectif. Le créneau du boudoir, note-t-il, se distingue en étant plus sensuel que sexuel.

Aujourd'hui, l'expression que le photographe de Granby veut capter chez ses clientes de boudoir (car la demande est essentiellement féminine) est celle d'«une femme qui se lève le matin».

Cette approche plus naturelle n'est sans doute pas étrangère à l'arrivée dans les studios de photographes de femmes comme Sylvie et Valérie, pour qui poser en sous-vêtements relève plus du défi personnel que du cadeau coquin de Saint-Valentin.

«Ma mission d'entreprise, c'est d'aider les femmes à connecter avec leur corps et à s'aimer comme elles sont.»

Devant sa lentille ont défilé des survivantes du cancer, des mères de famille débordées, des femmes plus âgées, et une fraîche divorcée venue célébrer la fin de son union.

«Il y a toujours une excuse, l'anniversaire du mari, l'anniversaire de mariage, mais la véritable raison, c'est que ce sont mes clientes qui en ont besoin, de la séance», lance celle qui donne le premier cours de photo de boudoir au collège Marsan.

Particularité de la méthode Karine Huard: un encadrement hyper personnalisé. Des semaines avant même la première pose, la photographe invite sa cliente à une réflexion sur l'apparence. Discussions téléphoniques, questionnaires sur le rapport au corps, exercices de confiance en soi... «Dans le fond, la photo, c'est juste la cerise sur le sundae, juge-t-elle, parce que c'est tout le processus qui mène à ça qui est le vrai cadeau.»

Apprivoiser son image

L'idée de se faire photographier en petite tenue dans un contexte d'acceptation de soi ne fait pas sursauter la psychologue Stéphanie Léonard, spécialiste des troubles de l'alimentation et de l'image corporelle.

La photo, indique-t-elle, est un média fréquemment utilisé en thérapie avec les personnes souffrant de graves complexes. «Ce qui est intéressant avec la photo, c'est que ça permet de se voir comme un tout, affirme l'auteure de Miroir miroir - Vivre avec son corps. On est une personne entière ; on n'est pas un ventre ou des fesses.»

Bien qu'elle n'ait jamais «prescrit» de photos suggestives à ses patients, Mme Léonard conçoit aisément que l'expérience puisse être bénéfique pour certaines personnes.

«Quand c'est fait dans le respect, pas pour plaire à quelqu'un d'autre, exciter quelqu'un d'autre, mais dans le cadre d'une démarche personnelle, oui, ça peut être définitivement thérapeutique.»

Mais il s'agit d'un outil, pas d'une solution, signale la spécialiste. Car non, il ne suffit pas de faire un strip-tease devant les flashes pour se débarrasser de ses complexes. «Il faut que ça s'accompagne d'un travail sur soi», en thérapie ou autrement, répète-t-elle, sans quoi l'effet galvanisant des photos s'estompera rapidement, au même titre qu'une opération gastrique ou un régime amaigrissant.

Et nul besoin de jouer la carte ultrasexy pour vivre une expérience positive, rappelle-t-elle.

Le déclic

Se sentir plus belle ou beau après être passé chez le photographe, soit. Mais n'est-ce pas exagérer que d'attribuer à des photos des changements de vie aussi majeurs qu'une nouvelle carrière, comme dans le cas de Sylvie?

«Ça peut avoir l'air magique, mais ce qu'il faut voir derrière, c'est qu'il y avait souvent de l'évitement et un grand repli sur soi», souligne la psychologue Stéphanie Léonard.

Difficile de postuler pour un nouvel emploi, de socialiser pour rencontrer quelqu'un ou d'aller au gym lorsqu'on est mal dans sa peau, poursuit-elle.

Une personne très complexée aura tendance à demeurer dans sa zone de confort.

Là où la séance de photos peut avoir un impact au-delà de l'apparence, c'est en montrant qu'une certaine prise de risque peut être agréable. Ce qui aidera, tranquillement, à «réintégrer des situations qui étaient évitées, risquer à nouveau».

Et envisager le prochain défi. Habillé ou pas.

* Sylvie a préféré taire son nom de famille pour des raisons professionnelles. Valérie s'est confiée sous un prénom fictif pour la même raison.