Web social et géopolitique : le dessous des cartes

 

Septembre 2012 : Youtube bloque l’accès à la vidéo « anti-islam » L’innoncence des Musulmans dans certains pays arabes, tout en assurant la conformité de ce contenu à ses conditions générales d’utilisation. Considéré comme l’acte II de l’affaire des caricatures de Mahomet, cet épisode a mis en lumière la puissance des « géants du web » et l’anomie qui entoure le web social à l’échelle mondiale. Interrogés par le Social Media Club et l’IFRI, chercheurs et experts reviennent sur cette nouvelle géopolitique du web.

 

De nouveaux territoires se dessinent

Les internautes du monde entier confient aux grandes sociétés du web une partie de leur vie : « données anodines ou sensibles, elles font notre identité numérique » explique Séverine Arsène, chercheuse spécialiste de la gouvernance d’internet. Le Facebook Connect en est le meilleur exemple : utilisé par la plupart des services web nécessitant une identification de l’utilisateur, notre compte de réseau social est devenu un véritable passeport digital, « une extension de nous-mêmes sous forme de traces », complète Olivier Fecherolle de Viadeo. Au-delà de la collecte des données, c’est l’autonomie juridique de ces acteurs privés qui interfère directement avec l’ordre établi par les Etats. L’utilisation des services de social media suppose une acception de « conditions générales d’utilisation » parfois plus restrictives que les lois du pays auxquelles l’internaute est assujetti. Google, Facebook, Renren, Vkontakte, Yandex… ces services se disputent les 2,3 milliards d’internautes de la planète pour étendre leur zone d’influence, faisant fi des frontières. Face à ces entreprises déterritorialisées, transnationales, qui opèrent sur un territoire sans y avoir ses serveurs ni même ses bureaux, les Etats cherchent à réaffirmer leur autorité. Paradoxe : pour ce faire, les gouvernements délèguent plus de pouvoir encore aux entreprises du net.

 

Le degré de censure, un marqueur national

Cybercrime, haine raciale ou encore pédopornographie sont autant de craintes auxquelles les Etats sont incités à répondre pour maintenir l’ordre public. Ainsi légitimé, le filtrage d’internet est confié aux sociétés du web elles-mêmes. Cette responsabilisation des intermédiaires est plus ou moins forte autour du monde. Impossible par exemple d’opérer en Chine sans l’obtention d’une licence étatique : modération et censure doivent être effectuées par les plates-formes de blogs et microblogs, qui se portent garantes des contenus publiés par leurs utilisateurs. En Russie, contrairement aux a priori, le web reste assez libre :  « il sert de soupape d’évacuation au mécontentement social » analyse Julien Nocetti, chercheur à l’Ifri, « car Moscou se concentre davantage sur l’apport économique du numérique ». La crainte d’ingérence occidentale, et plus particulièrement américaine, dans la gouvernance d’internet pousse en effet la Russie comme la Chine à investir sur ce marché pour se hisser au rang de puissance numérique et peser dans les négociations, ou conflits, à venir. Car nous sommes à un moment charnière, où la puissance établie des Etats se confronte à la puissance du web, véritable outil à conquérir.

 

Business is politics

Coûteuse et laborieuse, la modération du web social est une contrainte financière pour les investisseurs étrangers. « C’est une façon pour Pékin de protéger son marché » analyse Séverine Arsène. En 2007, Viadeo a d’ailleurs préféré racheter un service chinois et des équipes locales qui bénéficiaient déjà d’une licence d’exploitation plutôt que d’ouvrir de nouveaux bureaux. « Il a fallu passer par un montage avec une société hong-kongaise, se souvient Olivier Fecherolle. Nous sommes sûrement passés sous les radars des autorités chinoises à cette époque ». Mais acquérir un acteur local garantit surtout d’être en phase avec les usages du marché, qui eux, restent très marqués d’un pays à l’autre.
L’expansionnisme numérique a aussi ses règles : lors d’une acquisition à l’étranger, Viadeo a l’habitude de payer « non pas en cash, mais en actions, afin d’associer les équipes locales à notre réussite… et d’éviter qu’elles ne partent créer un concurrent ». Mais les Etats ne se contentent pas de mettre des barrières à l’entrée : l’heure est surtout à l’offensive. Ainsi la Chine encourage massivement les fleurons nationaux à investir les marchés étrangers. Au-delà du business, la stratégie est éminemment politique. Pour Séverine Arsène, il est difficile de ne pas voir en ces intermédiaires des courroies de transmission du pouvoir chinois.

 

Le village global n’aura pas lieu…

Pour autant, le web devrait être moins considéré comme une entité globalisée et globalisante sur laquelle on peine à installer une gouvernance internationale, que comme « une somme de marchés qui ont leurs particularités, leur protectionnisme, leurs usages » (Olivier Fecherolle). Une analyse partagée par Natalie Rastoin, Directrice Générale d’Ogilvy France, selon qui « les réseaux sociaux donnent surtout lieu à des échanges ultralocaux, tant linguistiquement que culturellement et même thématiquement ». L’adoption du mobile comme terminal de navigation et la géolocalisation qui va de pair ne font que renforcer cette tendance, en réinscrivant l’utilisateur dans un territoire et dans un faisceau d’usages. Symbole de cette relocalisation, les cocons d’information tissés par l’algorithme de Google qui fournit des réponses différentes pour une même requête selon le contexte de navigation des internautes (historique des pages consultées, recommandations sociales, situation géographique…).

 

… à moins d’une gouvernance plurielle

Plus que le niveau de contrôle, il importe de déterminer qui fixe les règles de l’espace numérique à l’heure où Moscou et Pékin se montrent particulièrement actifs sur ce terra
in. Julien Nocetti, chercheur à l’IFRI, explique que la Russie comme la Chine font leur possible pour peser dans les discussions internationales : « l’enjeu est d’être perçu comme une puissance numérique en se préparant aux formes de conflictualité liées au web », notamment avec les USA qu’ils accusent d’ingérence.
Si l’ONU a permis la création en 2005 de l’Internet Governance Forum pour favoriser une gouvernance « multi-parties prenantes » (rassemblant société civile, entreprises privées et gouvernements), c’est la souveraineté étatique qui semble tenter les pays les plus autoritaires. Mais pas seulement : préoccupés par l’ordre public, les gouvernements démocratiques participent eux aussi à cette « politisation d’internet », comme prévient Séverine Arsène : « ces dispositifs [ndlr : comme ACTA], proposés ou mis en place, ne visent certes pas à faire taire les voix dissidentes de l’espace public, ni à exercer une répression d’ordre politique. Mais les enjeux en termes de liberté sont bien réels ».

 

Publications liées


Newsletter

Inscrivez-vous à notre newsletter hebo pour être tenu au courant de nos publications et être invité à nos événements.

 

<div align=center><img title= »video smc gouvernance » src= »https://socialmediaclub.fr/wp-content/uploads/2012/09/politique-du-web.png » /></div>