04 3 / 2015

Comme a son habitude, dans sa tribune au Guardian, Evgeny Morozov frappe exactement là où ça fait mal. 

“Le monde extérieur pourrait considérer la Silicon Valley comme le bastion du plus impitoyable capitalisme, mais les entrepreneurs de la technologie ont plutôt tendance à se montrer comme les adeptes de la solidarité, de l'autonomie et de la collaboration." 

Ces "humanitaires du capital risque” croient qu'ils sont les véritables défenseurs des faibles et des pauvres. Nombre d'entre eux ont même applaudit au “socialisme numérique” - défendu en 2009 par Kevin Kelly (voir la traduction du texte par Framablog)… Pourtant, le partage n'est qu'un buzzword dans la Valley, quand bien même celle-ci voudrait être l'antidote à l'avidité de Wall Street. Il n'en est rien, assure Morozov. 

“Les histoires sans cesse répétées de "responsabilisation des utilisateurs” ne sont que des promesses.“ Qu'il faut situer dans le contexte d'un Etat providence défaillant. La promesse de l'économie du partage qui va faire fructifier nos actifs inutilisés semble rendre la Valley imperméable à la critique sociale. Pour le dire autrement, l'industrie de la technologie ne cesse de répéter qu'elle peut lutter contre les inégalités et les gouvernements sont tous désireux de la laisser essayer. Peu à peu, l'industrie de la technologie semble prendre en charge les fonctions de l'Etat, comme l'illustre ce photomontage de Jim Powell  transformant Mark Zuckerberg en Barack Obama. 

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Pourtant, l'augmentation nominale de l'égalité à consommer n'entraîne pas toujours une augmentation correspondante de l'autonomie individuelle, rappelle Morozov. Au contraire, elle pourrait avoir l'effet inverse. Car pour profiter de toutes les possibilités promises par la Valley - y compris les projets fantaisistes comme Internet.org -, il faut d'abord accepter de partager ses données en échange de services gratuits. Mais il serait naïf de croire que ces données ne vont pas façonner la manière dont on vie, et que banques, commerces et assurances ne vont pas l'intégrer dans leurs constructions marketing. 

Le conte de fée de l'autonomisation n'est rien d'autre qu'un conte de fée. Elle cache le fait que les informations nominales disponibles ne sont pas aussi utiles à un diplômé au chômage qu'à une grande entreprise commerciale. L'égalité d'accès aux services de communication n'élimine pas tous les autres types d'inégalités. 

Enfin, à quoi sert l'Etat quand la Silicon Valley propose de fournir tous les services de bases, de l'éducation à la santé ? Pourquoi continuer à payer des impôts et à financer des services publics inexistants puisqu'ils doivent désormais être fournis sur un modèle si différent que seules les entreprises de la technologie peuvent le fournir ? Visiblement, assène Morozov, cela ne dérangerait pas trop l'Etat moderne de confier les clés des services publics à ces entreprises pour ce concentrer sur sa tâche préférée, la lutte contre le terrorisme, ironise-t-il. 

"Les citoyens qui ne sont pas encore pleinement conscients de ces dilemmes pourraient peut-être se rendre compte que le choix réel auquel nous sommes confronté aujourd'hui n'est pas tant un choix entre le marché et l'Etat, qu'un choix entre la politique et l'absence de politique.”

Un choix entre un système où hackers, entrepreneurs et investisseurs sont la réponse à tous les problèmes sociaux et un système où les solutions explicitement politiques qui pourraient demander qui - des citoyens, des entreprises, de l'Etat - doit posséder quoi et à quelles conditions, ont encore court. Mais si tout le monde est d'accord pour croire que le monde que nous prépare la Silicon Valley est un socialisme numérique, peut-être n'est-ce plus la peine de se poser la question. 

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