Il y a deux ans déjà que les food trucks (prononcez "foude treuque") ont débarqué en France. Mais au fait, en quoi ces camions au nom anglo-saxon diffèrent-ils de la bonne vieille baraque à frites, à crêpes ou à pizza?

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Le food truck, un fast food de luxe?

Par leur cuisine contemporaine et attractive, ainsi que par leur stratégie marketing, visant l'urbain pressé, pas trop fortuné -le menu coûte en moyenne 10 euros-, mais avide de meilleurs repas.

En somme, un food truck est censé offrir une alternative plus saine à l'offre des fast-foods et autres sandwicheries souvent banales ou médiocres: à savoir une "nourriture de rue" (street food) mais de qualité et élaborée sur place, à partir de produits frais.

"En vivant en Asie, j'ai constaté combien il y est aisé de manger des produits de qualité chez les marchands de rue", explique Maxime Toulemonde, fondateur du tout récent Bistro Truck, spécialisé dans le burger, à Lille.

"À mon retour en France, il y a huit ans, j'ai réalisé que la population n'était pas encore prête à grignoter ainsi sur le pouce. Elle demeurait très traditionnelle dans ses habitudes de consommation hors domicile", raconte-t-il.

Un phénomène répandu dans tout le pays

Et pourtant. Sur ce modèle importé des États-Unis, l'Américaine Kristin Frederick a lancé en 2011 le premier food truck parisien, sous le nom du Camion qui fume.

Carton plein: avec ses hamburgers 100% maison, elle s'est attiré une clientèle prête à poireauter plus d'une heure sur les places de marchés. Elle a même pu acheter son deuxième camion, plus spacieux: le Bus qui fume!

Au départ limité à la capitale, le phénomène du camion gourmet concerne désormais tout le pays, puisqu'on compterait actuellement entre 30 et 40 food trucks sillonnant les grandes villes de France.

Les émissions culinaires s'y mettent aussi

Plusieurs manifestations sur ce thème ont vu le jour, en France et en Europe: camions rassemblés par Le Fooding dans la cour de l'École des beaux-arts à Paris, en novembre 2012, Real Food Market organisé toutes les semaines sur la place de Southbank Centre, à Londres, festival Rollende Keukens (6e édition) en mai à Amsterdam, 1er festival de ce genre en France, du 3 au 20 juin, au centre commercial Vélizy 2 (Yvelines), projet des Grandes Carrioles, autour de véhicules éphémères, associant designers et chefs, dans la région de Marseille, tout au long de 2013...

Signe des temps, l'accès à la finale de l'émission Top Chef, sur M6, en avril, s'est joué sur une épreuve organisée dans un food truck, au cours de laquelle les candidats devaient revisiter les codes du burger, du croque-madame et de la pizza (tout en pestant contre le manque d'espace dans les camions).

Les marques de l'industrie agroalimentaire n'ont pas tardé, elles aussi, à tenter de se réapproprier la tendance, comme l'ont montré la Potatomobile de McCain ou le Hot-truck à saucisses d'Herta.

Une mode mise en avant par Internet

Pour le moment, les burgers et autres tacos trustent la plupart des food trucks franchouillards, hélas! Même si, dans la foulée, on a vu apparaître des camions thématiques plus audacieux -Mozza & co, pour les amateurs du fromage italien- et de nouveaux plats disponibles: bo bun (salade vietnamienne de vermicelles de riz) dans le deuxième camion de la Caravane Dorée, blanquette de veau et autres plats bio bien de chez nous chez 2F1C (deux filles un camion)...

Pourquoi un tel engouement? Du côté des consommateurs, l'effet de curiosité a joué à plein, boosté au départ par les foodistas toujours en quête de nouveautés et de happenings culinaires, puis relayé par la communauté des blogueurs.

Mais, dans ce pays où la tradition du repas assis et pris en commun demeure, seul l'avenir pourra dira si le succès des food trucks n'a été qu'un phénomène de courte durée.

L'aspect itinérant, le côté jeu de piste et l'attente fréquemment longue avant d'être servi peuvent parfois lasser ceux qui veulent déjeuner vite et bien.

Un coût moindre pour les restaurateurs

Du côté de ceux qui prennent l'initiative d'ouvrir un food truck, en revanche, on comprend que la formule séduise: elle se révèle idéale pour aller toucher différents publics, mais aussi pour tester de nouveaux emplacements avant d'investir dans un véritable fonds de commerce.

Et l'avantage essentiel, pour l'artisan ou l'ex-salarié en quête de reconversion, réside dans le coût: un camion avec cuisine aménagée revient bien moins cher qu'un restaurant.

En France, il faut compter en moyenne 300.000 euros pour ouvrir une adresse fixe d'une surface raisonnable, alors que le prix d'un camion aménagé est beaucoup plus accessible, il démarre à 20.000 euros.

Néanmoins, tout n'est pas rose bonbon dans l'univers des camions, même joliment décorés. "Paris n'est pas Los Angeles. Nous n'avons pas de grandes avenues en bord de plages qui se prêtent à la venue des food trucks", a prévenu Lyne Cohen-Solal, adjointe au maire de Paris chargée du commerce (dans Le Parisien, en septembre 2012).

Un phénomène pas toujours compris et encouragé

C'est bien là que les difficultés commencent. Les municipalités demeurent en effet réticentes à accorder des autorisations de stationnement aux food trucks, d'autant que les restaurateurs fixes voient parfois d'un très mauvais oeil le développement de cette activité concurrente.

"Comme aux États-Unis, au début des années 2000, l'essor des food trucks décontenance les pouvoirs publics, observe Maxime Toulemonde. On ne réalise pas encore à quel point restauration nomade et restauration traditionnelle sont complémentaires."

Fondatrice de La Petite Vadrouille, dans la région d' Aix-en-Provence, Adèle Caroni confirme: "On a essuyé beaucoup de refus, sans aucune explication". Concrètement, les stationnements concédés aux food trucks se situent pour la plupart dans des zones d'activité tertiaires, près des bureaux.

Et même si les autorisations de vente sur les marchés suscitent la convoitise, elles n'ont pas que des avantages : "On doit fermer boutique à 13h: pile-poil l'heure à laquelle les clients arrivent en masse!", déplore Caroline Youness, cofondatrice d'Aklé, un camion de cuisine libanaise de la région lyonnaise.

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Un projet pour les "sans cuisine fixe"

À l'heure où il se crée de nouveaux food trucks presque tous les jours, l'avenir est-il toujours radieux pour cette activité? Certains, comme l'association Street food en mouvement, misent sur le militantisme en faveur d'une meilleure cuisine nomade, constituée de produits locaux, suivant en cela les principes prônés par le chef Thierry Marx.

De même, des infrastructures ambitionnent de favoriser l'épanouissement des food trucks : par exemple l'Office des Camionneuses travaille sur un projet de grande cuisine partagée, ouverte aux "sans cuisine fixe".

Vers une sédentarisation

Le paradoxe, c'est que le succès d'un food truck, comme l'ont montré les exemples américains et anglais, conduit souvent à des désirs d'ouverture de véritables restaurants, bien sédentaires, eux!

Les Londoniens de Meat Liquor, propriétaires en 2009 d'une simple cantine sur roues, ont ainsi emménagé dans des lieux éphémères, avant de dénicher le local de leur temple permanent du burger et du cocktail, aujourd'hui très couru.

En France, dans le même esprit, Kristin Frederick (la pionnière du Camion qui fume) est à l'initiative de l'ouverture de Freddie's Deli: un resto fixe à Paris (XIe) inspiré des delicatessen new-yorkais et fleurant bon le bagel, la soupe, ou le sandwich au pastrami. Comme si les expériences marchant comme sur des roulettes amenaient finalement à ne plus rouler?




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