La yoga connection : enquête sur une arme de reconstruction massive

La yoga connection : enquête sur une arme de reconstruction massive
Séance de yoga collectif dans un parc à Portland, aux Etats-Unis. (RANDY KASHKA/FLICKR CC)

Zen, digitale et à la carte, cette discipline effectue un retour fracassant.

Par Le Nouvel Obs
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Eva Longoria enchaîne les postures dans le magazine "Life". Sur Instagram, Michelle Rodriguez fait la chandelle en Bikini devant une voiture de sport, Naomi Campbell s'arc-boute en un "urdhva dhanurasana" sur l'avant d'un bateau…

Le yoga, discipline ascétique et méditative née il y a 5.000 ans en Inde, a-t-il à voir avec cette exhibition de V.I.P. acrobates ? Même réduit à un stretching de luxe, il séduit 250 millions d'adeptes dans le monde, dont 2 millions en France. Sa popularité est telle que l'Assemblée générale de l'ONU a institué une Journée mondiale du Yoga, avec une première célébration le 21 juin 2015. Dans plus d'une centaine de pays, des Yogathon rassembleront des milliers de fans, comme à Times Square ou sur la plage du Prado à Marseille où 3.000 personnes participeront à un mémorable "concert de silence".

"C'est le retour du yoga contre-culture, à la mode dans les années 1970", explique Ysé Tardan-Masquelier, historienne des religions et directrice de l'Ecole française de Yoga de Paris.

Aujourd'hui, il est populaire et correspond à un besoin de renouer avec le corps, de se (re)construire dans une société fragilisée. Il séduit, car c'est une activité solitaire, intérieure, mais connectée au groupe. Au Canada ou aux Etats-Unis, l'esprit de compétition contribue à entretenir la vague : il faut avoir le plus beau corps, faire la plus belle posture…"

Spirituality business

Le marketing a flairé le bon créneau et les marques de sport ont désormais leurs égéries : Leah Kim pour Nike et l'ancienne mannequin Tara Stiles pour Reebok. Sur son Instagram (90.000 followers), cette dernière, créatrice du Strala yoga, fait des postures sur un ponton aux Maldives et livre des recettes de smoothies. Les ambassadeurs les plus énergiques sont aujourd'hui des "instayogis", healthy et photogéniques. Telle la femme de l'acteur Alec Baldwin, Hilaria (92.500 abonnés), en posture sur sa cuisinière avec la tête dans une poêle.

Le business, qui pèse déjà 27 milliards de dollars par an, se diversifie et s'organise. Les marques de vêtements de yoga, telles que Lululemon, Lolë, Sweaty Betty, pullulent, proposant leggings et brassières fashion. Le milieu des professeurs se structure, avec la première agence de yoga, Yama Talent, qui sélectionne des instructeurs émérites d'horizons divers, professant à des people ou officiant à la TV.

On finirait par oublier les puristes, qui fréquentent les ashrams et suivent les courants ancestraux dérivés du Raja yoga, les formes telles que le Hatha, le Karma, le Bhakti, le Jnana… Ysé Tardan-Masquelier poursuit :

Dans la tradition indienne, le mot yoga a un sens large. C'est une voie de libération de ses propres attachements, de ses désirs, qui permet de mieux se connaître pour ne pas se bercer d'illusions. La pratique corporelle ne vient que soutenir ce cheminement."

Face à cette discipline authentique et exigeante fourmillent de nouveaux proto-yogas, variantes métissées de gym, en équilibre dans l'air, dans une étuve. L'engouement est fort pour ces formules à la carte, souvent maquillées d'une spiritualité de façade. "Il y a deux générations de fans en France, estime Anne Wandewalle, professeur de yoga et fondatrice des rencontres European Yogi Nomads. Ceux qui ont commencé au début des années 2000 et les autres qui viennent de débuter et sont davantage attirés par le côté physique. Au fur et à mesure, ils se rendent compte que ça change leur manière de respirer, de vivre. Ils font plus attention à ce qu'ils mangent, ils se ménagent et prennent soin d'eux."

Retraites de rêve

Bouleversés, certains apprentis yogis voyagent vers des destinations spirituelles. "Bali, l'Inde du Sud, et plus particulièrement Goa, offrent de multiples propositions et une richesse de studios", poursuit Anne Wandewalle. "La culture ancestrale locale crée un cadre favorable à cette discipline. En Europe, c'est Ibiza, où la communauté hippie était très forte."

Partout, les retraites se multiplient. Du séjour en ashram dans le silence aux randos à cheval en Mongolie, de 500 à plusieurs milliers d'euros la semaine, le yoga s'adapte aujourd'hui à toutes les CSP. Sophie Ravier a choisi l'île grecque de Sifnos pour organiser ses stages. Cette ancienne RP pour une grande marque de parfums a changé de vie. Mais elle a gardé ses standards.

J'ai connu toutes les formules les plus barrées. Il y en a où l'on doit faire des lavages d'intestin à l'eau salée. Moi, j'ai créé la retraite dont je rêve, option premium : une vue à tomber par terre, des profs hyperformés, repas végétarien ou bio, des massages shiatsu."

C'est l'occasion pour les profs stars de convoquer leurs ouailles. Comme l'a fait récemment, à Sifnos, l'Américaine sculpturale et tatouée Candace Moore, 85.000 followers sur les réseaux sociaux, qui pratique le yoga depuis l'enfance. Ses followers interagissent, regardent ses vidéos YouTube, suivent ses conseils de diététique, de style de vie "modern yoga" ou achètent sa mantra box pleine de produits naturels et tenues dédiées. Toute l'année, elle les accueille dans des stages :

C'est important pour moi que chacun ait son style. Au Costa Rica, nous avions aussi des leçons de surf ou du cheval au bas d'un volcan actif. En Grèce, j'ai créé des classes de yoga les yeux bandés ou dans le noir…"

Le point commun de ses élèves ? "Ces gens de tout âge, plutôt des femmes, sont sensibles aux questions de santé et de bien-être. Je souhaite créer autour d'eux un environnement sécurisant dans lequel ils puissent relâcher leur stress, leurs peurs, leur armure."

 

Une photo publiée par @tarastiles le

Nouveau style de vie

Un yoga vérité qui fait tout plaquer ? Le phénomène de craquage prend de l'ampleur. Comme Anne Vandewalle ou Sophie Ravier, une ancienne directrice conseil dans la publicité, Florence Gavard, a changé de vie.

J'aime la philosophie qui accompagne le yoga. Elle développe la capacité d'être heureux avec ce que l'on a et m'a permis de trouver la paix alors que je vivais sous pression. J'ai pu prendre du recul et lâcher prise."

Elle part en retraite pendant ses vacances, puis fait le grand saut. Elle suit des centaines d'heures de formation en Thaïlande et à Bali dans des studios très réputés. Bientôt, elle enseignera en France. "Dans mes voyages pour le yoga, beaucoup de gens comme moi interrogent le sens ou l'équilibre de leur existence et sont prêts à changer de style de vie."

Salariés du secteur de la communication et de la publicité, sachez-le : un jour, vous aussi finirez au tapis !

Katia Pecnik

Le Nouvel Obs
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