Au Japon, la crise européenne inquiète plus pour son impact sur l'économie nationale que pour les risques de contagion à la dette publique nippone. En apparence pourtant, le pays a tout pour subir un scénario à la grecque. Son endettement pourrait atteindre, en 2010 selon le Fonds monétaire international (FMI), 226,9 % du produit intérieur brut (PIB) bien plus que les 113 % de la Grèce.
La situation des deux pays est pourtant incomparable. "La dette japonaise est détenue à 95 % par les Japonais", rappelle Eisuke Sakakibara, ancien vice-ministre des finances et nommé, à l'époque, "M. Yen". Surtout, "les actifs financiers restent supérieurs au montant de cette dette", précise-t-il. Deux points fondamentaux qui font dire à Atsushi Nakajima, chef économiste à l'institut Mizuho, que, "pour le Japon, les marchés s'intéressent plus à la situation des comptes courants et à la facilité de l'Etat à rembourser ses dus".
Sur ces deux points, l'Archipel n'a pour l'instant rien à craindre même si la hausse régulière des déficits et le ralentissement de l'épargne rendront nécessaire une augmentation de la fiscalité et une baisse des dépenses. Ces mesures devront être prises avant que le montant de la dette n'égale celui de l'épargne, dans quatre ou cinq ans.
La crise en Europe inquiète plus pour l'avenir d'une économie très dépendante des exportations. La zone euro ne capte "que" 10 % des ventes du pays, contre 60 % pour l'ensemble de l'Asie et 20 % pour les Etats-Unis. Mais la baisse de l'euro peut avoir un impact significatif. Le 3 juin, la devise européenne se négociait autour de 112,9 yens, contre 125 début mai. L'institut Daiwa a calculé que quand l'euro baisse de 10 yens, les gains des entreprises nipponnes reculent de 2,8 %.
"La diminution de la compétitivité des biens japonais peut peser sur les exportations, s'inquiète dans un rapport publié mi-mai l'économiste de Daiwa Mitsumaru Kumagai, avec des conséquences sur la production, les résultats des entreprises et sur les revenus des Japonais." De quoi alimenter les doutes sur la croissance d'une économie encore convalescente, malgré deux trimestres consécutifs d'expansion supérieure à 4 % en rythme annuel.
Ces doutes ne sont pas perçus au niveau conjoncturel, mais ils "se ressentent déjà sur les marchés d'actions", note M. Sakakibara. Le Nikkei a plongé de 11 062 points le 30 avril à 9 500 points le 25 mai. Ils pourraient s'accentuer si la crise dépasse les limites de la zone euro. "D'un point de vue japonais, note M. Nakajima, tant que l'Asie et les Etats-Unis tiennent, ça va. Mais il ne faut pas que la crise devienne trop sérieuse en Europe."
Pessimisme
A ce sujet, le pessimisme domine, en raison des mesures d'austérité décidées, notamment par la Grèce. "Jamais un pays n'a été aussi loin", constate M. Nakajima. Il juge qu'elles pourraient plonger le pays dans la récession. Et il s'inquiète de l'achat, par la Banque centrale européenne, des emprunts d'Etat grecs. "C'est l'ultime étape avant le défaut de paiement et l'hyperinflation", assure-t-il évoquant l'Argentine en 2002, le Japon en 1945 ou l'Allemagne en 1918.
M. Sakakibara, lui, craint que les injections de capitaux du FMI et des pays européens n'aient aucune efficacité, car "les conditions exigées de la Grèce, et celles qui pourraient l'être de l'Espagne et du Portugal, sont dures". Il admet que les mesures d'austérité sont "les seules à prendre aujourd'hui". Mais, ajoute-t-il, "il y a eu des grèves. Il devrait y en avoir d'autres. Les résistances à leur mise en oeuvre s'annoncent fortes."
Plus généralement, les économistes japonais pensent que la situation appelle une refonte du fonctionnement de la zone euro, notamment par la création d'un gouvernement économique. "Il y a un manque de coordination au niveau fiscal", déplore Eisuke Sakakibara, qui voit dans cette crise celle d'une "Europe en transition".
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