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Tunisie

Assassinat de l'opposant tunisien Chokri Belaïd: «Tous les yeux sont braqués sur Ennahda»

Chokri Belaïd, l’une des figures de l’opposition tunisienne, a été assassiné de plusieurs balles ce matin, mercredi 6 février à la sortie de son domicile à Tunis. Béligh Nabli est membre de l'Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe et directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).

Chokri Belaïd lors d'une manifestation à Tunis, le 22 octobre 2012.
Chokri Belaïd lors d'une manifestation à Tunis, le 22 octobre 2012. CITIZENSIDE / CHEDLY BEN IBRAHIM
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RFI : Chokri Belaïd était donc véritablement un acteur de poids sur la scène politique tunisienne ?

Béligh Nabli : Il avait la caractéristique d’être une figure de la société civile à travers sa fonction d’avocat. C’était ce qu’on pourrait appeler « un ténor » du barreau de Tunis. Il a pu défendre un discours et des litiges concernant les droits de l’homme en Tunisie, tant sous le régime de Ben Ali que sous le régime actuel incarné par le parti Ennahda. Et c’était aussi une figure de l’opposition politique, puisqu’il était la tête du Mouvement des patriotes démocrates, qui s’inscrivait dans le cadre d’un mouvement plus large, le Front populaire. On peut le présenter comme un parti de gauche, voire d’extrême gauche, axé sur le droit des citoyens, des salariés et très sensible aux questions des droits de l’homme. L’une de ses marques de fabrique consiste dans le fait qu’il martelait son opposition à Ennahda comme parti religieux et comme parti libéral à la fois.

Justement, le chef d’Ennahda a estimé ce mercredi matin que les meurtriers veulent un bain de sang, mais qu’ils ne vont pas réussir. En gros, il se dédouane : il n’est pas derrière cette attaque. Sauf que le frère de la victime, lui, accuse Ennahda d’être l’instigateur du crime. Cela vous paraît-il possible ?

Ce qui est clair, c’est que tous les yeux sont braqués sur Ennahda actuellement, pour au moins deux raisons : une raison générale et structurelle, et une raison personnelle. La raison générale et structurelle, c’est qu’on accuse le parti au pouvoir. Même s’il s’inscrit dans le cadre d’une coalition, cela reste le premier parti en Tunisie et celui qui dirige le gouvernement. Ce parti est accusé d’être le premier responsable de la situation d’insécurité qui règne encore dans certaines parties du pays et de ne pas mettre les moyens pour garantir l’ordre public, y compris en luttant de manière efficace contre les salafistes.

Et de manière, cette fois-ci, plus personnelle, Chokri Belaïd a été à la fois l’un des principaux accusateurs de Ennahda quant à sa politique qualifiée de très timorée - pour employer un doux euphémisme - par rapport aux salafistes. Et en même temps, Chokri Belaïd lui-même a fait l’objet d’agressions physiques, encore il y a quelques jours, dans la région du Kef. Des agressions physiques qui seraient le fait de milices liées à la mouvance islamiste. Naturellement, c’est un peu flou. Et naturellement, c’est le genre d’acte qu’on ne revendique pas du côté d’Ennahda.

Bref, tous les yeux sont braqués sur le parti au pouvoir et il a beau jeu - c’est logique d’un point de vue stratégique - non pas de se dédouaner mais d’essayer de mettre en avant le fait que, au-delà de la personne de Chokri Belaïd, c’est l’unité nationale qui est en cause, en tous les cas qui risque d’être destabilisée. Et si on mettait trop en avant la responsabilité du parti au pouvoir, c’est l’unité du pays qui risquerait d’en pâtir.

En attendant, il y a une réaction du peuple tunisien. Il y a des manifestations dans plusieurs villes du pays. Est-ce que ce meurtre pourrait être le meurtre de trop, l’étincelle qui pourrait déclencher une nouvelle révolution ?

Il est vrai qu’on a un certain nombre d’ingrédients qui commencent à s’accumuler et où Ennahda ne cesse de faire preuve de naïveté politique puisque, à aucun moment, il n’a su répondre de manière efficace aux accusations dont il fait l’objet depuis maintenant un certain nombre de mois. Il s’affiche à la fois comme un parti composé de gens qui ont certes subi le régime de Ben Ali, mais qui s’avèrent incompétents pour exercer le pouvoir au sein d’un Etat moderne. Ce procès en incompétence prend une tournure particulièrement aiguë en matière économique et sociale, mais aussi en matière sécuritaire. Au terme d’une série d’actes plus ou moins isolés mettant en avant cette situation d’insécurité, on assiste là à l’assassinat d’une personnalité politique de niveau national. C’est effectivement le genre d’événement qui peut faire basculer le pays dans un mouvement de relance révolutionnaire.

Sur un plan plus politique, est-ce que ce drame ne pourrait pas a contrario ressouder la société tunisienne, ressouder la classe politique tunisienne, qui est dans l’impasse depuis plusieurs mois et n’arrive toujours pas à se mettre d’accord sur une nouvelle Constitution ? Est-ce qu’il pourrait y avoir un déclic ?

C’est une hypothèse optimiste, mais pas chimérique. C’est-à-dire que c’est une perspective relativement concevable dans la mesure où il y a une tradition du côté tunisien, à savoir tenter de se transcender au nom de l’unité nationale. Mais d’un point de vue stratégique, la balle est dans le camp d’Ennahda, tout simplement. C’est à ce parti de faire montre aujourd’hui de sa capacité à transcender les clivages partisans, de montrer des gages d’ouverture par rapport aux arguments avancés par l’opposition, en particulier l’opposition de gauche qui, pour Ennahda véritablement, incarne l’ennemi politique à abattre. Dès lors, tout dépend finalement de la capacité d’Ennahda aujourd’hui à faire montre d’une sincérité quant à sa volonté à la fois de répondre aux enjeux sécuritaires du pays et de faire œuvre d’ouverture politique.

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