Pierre Gattaz : «La réalité est là : les patrons de terrain n’en peuvent plus»
INTERVIEW + VIDEOS - Avant la semaine de mobilisation des organisations patronales, le président du Medef relaie dans une interview aux « Echos » les inquiétudes des patrons de terrain sur la pénibilité et la création de nouvelles taxes qui viennent en partie annuler les effets du Pacte de responsabilité. Pierre Gattaz reste prudent sur l’éventuelle signature d'un accord sur le dialogue social.
Par Marie Bellan, Elsa Conesa, Dominique Seux
Vous organisez une mobilisation des patrons la semaine prochaine. Dans quel objectif ?
C’est d’abord une mobilisation citoyenne pour la croissance et l’emploi. Les entrepreneurs que nous représentons sont affaiblis par une crise qui dure, ils ont des carnets de commande qui diminuent, des problèmes de trésorerie… Et le sentiment que le gouvernement n’a pas pris la mesure de cette exaspération. Certes, il y a eu de belles déclarations, que nous avons d’ailleurs applaudies. Certes, il y a eu des engagements de baisse des prélèvements obligatoires, de simplifications… Mais si l’on creuse, on est face à des incohérences qui nuisent à la confiance.
En quoi ? L’exécutif, de son côté, dit qu’il ne vous comprend plus : le Medef applaudit Manuel Valls à votre Université d’été et le critique trois mois après…
Ecoutez, soyons précis. Le gouvernement parle matin, midi et soir des 40 milliards d’euros de baisse de prélèvements du Pacte mais en réalité les impôts ont continué à augmenter. Entre 2011 et 2013, les prélèvements ont augmenté de 36 milliards d’euros. En 2015, même en tenant compte du crédit impôt compétitivité et emploi et des effets du Pacte de responsabilité, nous serons encore à plus de 25 milliards de taxes nouvelles par rapport au niveau de 2010 ! Autre exemple, prenez la simplification : les initiatives du secrétaire d’Etat à la Simplification et à la Réforme de l’Etat, Thierry Mandon, vont dans le bon sens et il faut les soutenir ; mais dans le même temps, on nous impose la pénibilité et l’information préalable des salariés en cas de cession, qui ajoutent encore des couches de complexité.
Allez-vous vraiment distribuer des sifflets à vos adhérents ?
Notre mobilisation est avant tout pédagogique, nous voulons mettre en avant des témoignages de chefs d’entreprises qui expliqueront leurs difficultés concrètes. Nous ne faisons pas de politique, donc pas de manifestations dans les rues ni de sifflets. Ce n’est pas notre style. Nous voulons rester apolitiques et républicains. Nous voulons inviter des citoyens et des élus pour leur faire entendre des témoignages de terrain de chefs d’entreprises. L’idée c’est de faire comprendre pourquoi les chefs d’entreprises sont à bout. Car la réalité est celle-là : les patrons de terrain n’en peuvent plus.
Vous avez le sentiment que l’exécutif ne les entend pas ?
Il y a eu une très belle phase en début d’année avec le pacte de responsabilité, nous avons d’ailleurs été les premiers à le dire. Mais il faut tenir ses engagements. Ce décret sur la pénibilité sorti à la mi-octobre est une folie. Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement l’a publié, sans qu’aucune nouvelle concertation ne se soit ouverte pour trouver des solutions à un dispositif inapplicable. Il faut arrêter les nouvelles contraintes. Pour beaucoup de chefs d’entreprise, la pénibilité sera pire que les 35 heures. Dans le bâtiment, cela peut poussera les entreprises à recourir davantage aux travailleurs détachés.
Pourquoi dites-vous que les impôts continuent à croître ?
Il y a encore eu 5 ou 6 milliards de nouvelles taxes votées sur les entreprises pour 2015. Si tous les engagements de l’Etat sont tenus, et qu’aucune nouvelle taxe ne vient s’ajouter, nous serons à peine revenus d’ici fin 2017 au niveau de prélèvements de 2010. Pendant ce temps, l’écart de compétitivité avec l’Allemagne continue de se creuser, il atteint désormais 132 milliards d’euros en 2013. Il faut arrêter d’augmenter les impôts et faire de vraies réformes structurelles. Tous les autres pays l’ont fait. Aujourd’hui, on le l’a pas fait. Moralité : on cherche de nouvelles recettes et certains secteurs en prennent plein la figure : les banques, le bâtiment, les laboratoires pharmaceutiques …
Quelle est la prochaine étape si le gouvernement ne réagit pas ?
Nous verrons. Je veux être optimiste, il s’agit d’expliquer et de convaincre. Nous ne faisons pas de politique. Notre objectif c’est l’emploi.
Alors quels seront les prochains tests ?
D’abord régler le problème de la pénibilité. Une mission va être mise en place avec un chef d’entreprise et un parlementaire, ce qui peut laisser penser que la loi va évoluer. Si on se rend compte qu’une loi est inapplicable, il faut savoir y renoncer ou la modifier. Notre manifeste insiste aussi sur la poursuite de la baisse des charges. Mais cela ne sera possible qu’en réformant la sphère publique.
Quelle serait la mesure emblématique pour réformer l’Etat ?
Il faudrait déjà faire le tri entre les fonctions régaliennes et les autres. Une des voies possibles de la réforme, c’est le chantier de la simplification qui représente une vraie dynamique. C’est très populaire, je soutiens ce projet mais il faudrait aller beaucoup plus loin.
L’accord sur le dialogue social peut-il être signé d’ici la fin de l’année ?
Je ne sais pas encore. Une chose est sûre : je ne veux pas signer n’importe quoi. Pour signer, il faut que l’on simplifie vraiment le dialogue social. Faire mieux mais pas plus. J’ai conscience que les chefs d’entreprises de TPE et de PME sont terrorisés à l’idée que l’on puisse rajouter des contraintes pour des entreprises de moins de 50 personnes. Nous y serons très vigilants. Ce que nous voulons, c’est redonner la main à l’entreprise pour discuter avec les salariés, qu’ils soient syndiqués ou non.
Emmanuel Macron semble prêt à revenir sur les 35 heures. Vous y croyez vraiment ?
Les petites musiques que l’on plante parfois dans la douleur sont reprises les unes après les autres. Que ce soit par des économistes de droite comme de gauche, par Mme Merkel… Cela fait plaisir, cela veut dire que le Medef n’est pas tout seul. Si on constate que les 35 heures ne fonctionnent plus, il faut donner la possibilité de les faire évoluer. Peut-être que certaines entreprises ne souhaiteront pas changer et resteront aux 35 heures. Mais pour certaines c’est un vrai sujet, un vrai problème qui peut être très coûteux.
Que pensez-vous de la proposition du rapport Pisany-Enderlein de passer à une négociation triennale des salaires ?
Je salue la démarche d’un rapport franco-allemand sur la croissance. C’est un signal important. D’une manière générale, le Medef considère que c’est au sein de l’entreprise qu’il faut pouvoir définir les thèmes de négociation qui font sens. L’idée d’une négociation annuelle obligatoire peut être contre-productive : pourquoi négocier si n’on a rien à négocier du fait de la situation économique ? Rendre ce rendez-vous pluri-annuel permet de redonner du sens à cette discussion en la mettant en perspective des prévisions de l’évolution du marché.