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Deezer, le « frenchie » qui énerve Apple, Google et Spotify

Axel Dauchez, le patron de la plateforme de musique en ligne Deezer, monte le son : il lui faut internationaliser ce qui est encore une PME. Et poursuivre sa stratégie de contrats avec les grands labels. Un portait en trois mots d’Enjeux Les Echos.

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Axel Dauchez

Par Isabelle Lesniak

Publié le 30 mai 2014 à 09:39

Que fait un polytechnicien à la tête d’une PME de 60 millions d’euros de chiffre d’affaires et 300 salariés ? La distribution de musique numérisée à grande échelle (Deezer compte 5 millions de clients payants) requiert, certes, de l’ingénierie mathématique. Mais c’est surtout que Deezer, qui s’est offert les services d’Axel Dauchez début 2010, a de quoi flatter la fibre entrepreneuriale d’un X pas tout à fait comme les autres. Car la start-up française, créée il y a sept ans par Daniel Marhely, un autodidacte de 17 ans, avait le potentiel pour devenir un acteur majeur du secteur. Axel Dauchez a déjà réussi à l’imposer parmi les six grands mondiaux, aux côtés du leader suédois Spotify et des géants Apple et Google. Reste à la faire grandir. L’internationalisation a démarré en 2013. Deezer est présent dans 180 pays. « On en travaille vraiment douze ou treize », dit Axel Dauchez, dont les indispensables marchés européens, la Colombie et la Thaïlande, avec les Etats-Unis en ligne de mire. « Il y a beaucoup de chances pour que 2014 soit notre année américaine », confirme avec gourmandise cet esprit aventurier qui connaît bien la musique.

ATAVIQUE

A 45 ans, Axel Dauchez a gardé sa fascination de jeunesse pour « les inventeurs, les découvreurs, les aventuriers de l’esprit ». Affaire d’atavisme sans doute. Son arrière-grand-père travailla avec les frères Lumière sur les premiers cinématographes. Il a peu connu son grand-père scientifique, mais son enfance a été marquée par les anecdotes de sa famille réveillée en pleine nuit par les « eurêka » du patriarche. Lui-même a longtemps voulu être chercheur– certains de ses interlocuteurs lui trouvent d’ailleurs « un côté professeur Nimbus »… Après trois ans de prépa à Stanislas, le prestigieux établissement privé parisien, ce « flemmard bon en maths et en physique » présente Polytechnique et Normale Sup Ulm. Reçu aux deux, il préfère l’X : l’école d’ingénieurs lui offre « la liberté d’aller là où il veut ».

De P&G aux jeux vidéo

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Mais où veut-il aller, ce touche-à-tout ? Contrairement à ses camarades de promotion, il lui tarde d’en découdre avec le monde du travail. Il adore se « mettre en danger » dans des secteurs variés : les produits d’entretien (Procter & Gamble), le conseil (Bossard), les jeux vidéo (Cendant Software), le cybermarketing (BDDP & Tequila Interactive). C’est chez Antéfilms, devenue MoonScoop en 2003, qu’il finit par se poser. La société produit des séries d’animation pour la télévision. L’une des plus connues met en scène SamSam, le super-héros cosmique bien connu des maternelles. Comme le père du bonhomme rouge, Sampapa, Axel Dauchez est un costaud bien dans sa peau, qui maîtrise les situations critiques avec calme. Cela lui sera utile quand il sera appelé à la tête de Deezer en janvier 2010, un peu plus de trois ans après son lancement.

PROLIFIQUE

Axel Dauchez ne connaît alors « ni les fondateurs de Deezer ni le marché de la musique » mais il « maîtrise les médias, Internet et surtout le pilotage d’une entreprise en hypercroissance ». « Si les actionnaires m’ont recruté, c’est parce qu’ils cherchaient quelqu’un aux cheveux gris pour passer au deuxième chapitre de cette belle histoire », plaisante ce charmeur au tutoiement immédiat. Il s’adapte vite. « La rapidité avec laquelle il a saisi l’environnement, les enjeux et la personnalité des acteurs nous a bluffés », témoigne Laurence Le Ny, directrice musique et culture d’Orange. Il reprend de manière plus ferme et formelle les discussions entamées avec l’opérateur. Orange récupère 10% du capital de la société et devient son principal distributeur, offrant l’écoute à ses abonnés mobiles premium. Dauchez duplique ce partenariat modèle dans une vingtaine de pays, s’emploie à convertir les utilisateurs au payant, signe un accord majeur avec Facebook et lève 100 millions d’euros auprès du fonds du milliardaire russe Len Blavatnik – « deux fois notre chiffre d’affaires et un record pour le Web français ». « Je ne suis peut-être pas un bon manager en période de stabilité, mais quand l’action compte plus que la réflexion, j’arrive à créer une dynamique avec les gens », s’autoanalyse-t-il.

Un bon négociateur

Ses partenaires en affaires ne sont pas tous convaincus. L’un d’eux raille « sa tendance à réinventer la roue, alors qu’on ne lui demande que de gérer ses dossiers ! » « Il a institutionnalisé l’offre », reconnaît en revanche Stéphane Pesqué, fidèle financier du site depuis 2009 au sein du fonds CM-CIC. « Axel est un très bon négociateur, il comprend les enjeux pour la société mais aussi pour les gens d’en face, et excelle à débloquer des situations pas simples. » « Il fait preuve d’empathie », confirme Laurence Le Ny. En 2011, Universal Music France perd le procès qui devait interdire à Deezer de diffuser gratuitement son catalogue. Axel Dauchez ne peut se contenter « d’ouvrir le champagne » et cherche une solution acceptable pour les deux parties. « Sans le théâtre de mise dans notre profession, on y serait arrivé sans procès, de façon conventionnelle », commente-t-il sobrement.

CLASSIQUE

Une trentaine d’accords bilatéraux plus tard, Universal – dont dépendent les labels Deutsche Grammophon, Decca et Accord – et Deezer sortent, en octobre dernier, une application d’accès au classique qui séduit les mélomanes. Pascal Nègre, président France de la maison de disques, en oublierait presque ses griefs à l’égard de ce partenaire avec lequel il entretient des relations tendues : « C’est un outil formidable, plébiscité par le public, qui permet à Deezer d’exister dans cet univers particulier. » Si le classique n’est pas le produit d’appel du portail, il constitue l’ADN du patron. Il se dit encore « déchiré, décomposé, ravagé » par le Tristan et Isolde de Wagner, mis en scène par Peter Sellars il y a presque dix ans ! La famille Dauchez prend la musique au sérieux. L’arrière-arrière-grand-père d’Axel, Gustave Yon, un pionnier de l’acoustique architecturale, a conçu Pleyel en 1927, « la première salle de concerts au monde réalisée de manière scientifique ». « Ce n’est pas un métier de saltimbanques mais d’industriels, et c’est comme cela qu’on le conçoit chez Deezer », expose le patron mélomane. « Ce qui me fascine dans ma fonction, c’est que je joue un rôle dans un secteur qui change la vie des gens. La musique est un petit marché, mais elle a une influence sociétale gigantesque. »

Isabelle Lesniak pour Enjeux Les Echos

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