ROCK’N’ROLL

La légende veut que sexe et rock’n’roll aillent de pair. Jim Pfaus, lui, a dû choisir entre les deux.

Au début des années 2000, le groupe punk rock dans lequel il chantait et jouait de la guitare, Mold, connaissait un certain succès. Le groupe venait de faire paraître son deuxième album et jouait régulièrement dans les bars de la métropole. Il comptait aussi trois participations au volet montréalais du Vans Warp Tour, ce festival punk ambulant qui crache chaque été ses décibels à travers l’Amérique du Nord.

« On s’amusait beaucoup, raconte Jim Pfaus. Mais à un moment donné, j’ai dû choisir entre le groupe et la science. »

« J’ai choisi la recherche en me disant que je pourrais toujours continuer de faire de la musique dans mon sous-sol, mais que je ne pouvais pas y faire
de la recherche subventionnée. »

— Jim Pfaus

L’ancien bassiste de Mold, David Gold, garde de bons souvenirs de cette époque.

« C’était assez sérieux, précise-t-il. On prenait quelques bières dans les spectacles, mais rien de plus. Nous étions très axés sur la musique. »

Il décrit Jim Pfaus comme un compositeur et un musicien talentueux qui poussait ses acolytes à se dépasser.

« Mold, c’était le groupe de Jim, dit-il. C’est lui qui écrivait toutes les chansons et il prenait ça très à cœur. On répétait comme des fous. Et les répétitions… c’était du style Gestapo. »

David Gold, qui travaille aujourd’hui dans l’industrie pharmaceutique, n’a pas été surpris quand Jim Pfaus a annoncé qu’il voulait se consacrer entièrement à ses recherches sur la sexualité.

« Même à l’époque, son intérêt pour le sexe était manifeste. Tant en recherche que dans la vie », lance-t-il.

LE PUNK POUR TOUJOURS

Jim Pfaus a peut-être laissé Mold derrière lui. Mais l’attitude punk, elle, ne l’a jamais quitté.

« Je me souviens d’une conférence scientifique au Caire où Jim se promenait avec son éternel accoutrement punk rock au milieu de médecins en complets foncés très conservateurs, raconte Meredith Chivers, de l’Université Kingston. Je le soupçonne de se foutre complètement de ce que les gens pensent de lui. »

Au-delà des vêtements, il y a l’attitude. Natif du Maryland, Jim Pfaus parle anglais. Et déformation professionnelle oblige, le mot « fuck » est peut-être celui qui revient le plus souvent dans sa bouche.

« Je pense qu’il ne dira jamais " copuler ", dit en riant son étudiante, Lucy Farissello. Jim correspond exactement à l’image qu’il projette. C’est peut-être la personne la plus authentique que je connaisse. »

Naomi Wolf est une auteure américaine féministe dont le plus récent livre, Vagina : a New Biography, est basé en partie sur les découvertes de Jim Pfaus. Elle soupçonne que l’attitude du chercheur ne relève pas du simple je-m’en-foutisme.

« Ces drôles d’objets sur son bureau, son langage, son look aussi, peut-être… Je crois qu’il fait ça de façon très délibérée, dit-elle. La science et le sexe sont deux choses qui causent de l’anxiété chez les gens. Par son humour et son ironie, Jim désamorce cette anxiété et change complètement ce rapport. »

LE RESPECT DES FEMMES

Cela peut sembler étonnant à première vue, mais cet homme qui peut passer 10 minutes à vous décrire le dernier film porno qu’il a visionné est très respecté par un grand nombre de femmes, dont plusieurs étudiantes qui gravitent autour de son laboratoire.

« C’est le plus grand féministe que je connaisse », dit spontanément Lucy Farisello lorsqu’on lui demande de décrire son professeur.

« Dans une culture qui ne prend
pas le plaisir sexuel féminin, qui
le dégrade et s’en moque, je respecte
le fait qu’il se penche sur le bien-être des femmes avec respect. Si mon livre est un livre féministe, alors ses travaux sont féministes. »

— Naomi Wolf, auteure américaine féministe

Lorsqu’il parle de sexe, Jim Pfaus n’hésite jamais à évoquer sa propre sexualité. Il confie avoir toujours « oscillé entre la monogamie et la promiscuité ». Aujourd’hui séparé, il fréquente une femme de 22 ans.

Après la publication de son livre, Naomi Wolf a participé à une conférence à Concordia en compagnie du chercheur. À un moment, il s’est mis à raconter comment il avait déjà tenté de faire tomber certaines inhibitions chez une femme alors qu’il lui faisait l’amour. Mme Wolf, sur le coup, est restée estomaquée.

« C’était une histoire personnelle, mais qui était très ancrée scientifiquement, qui illustrait parfaitement ce qu’il voulait expliquer. Il faut du courage et beaucoup de jugement pour faire ce genre d’intervention », dit-elle.

« Quand Jim Pfaus transmet son savoir scientifique sur le sexe, il le fait en nous disant : "Regardez. Je suis un être humain qui a une sexualité et qui est curieux à propos du sexe." Je crois que c’est très humanisant. Ça nous donne la permission intellectuelle de penser par nous-mêmes », continue Mme Wolf.

Jim Pfaus, lui, admet qu’il a un certain penchant pour la provocation.

« Il m’est arrivé, par exemple, de parler de stimulation clitoridienne dans le métro avec l’une de mes étudiantes, raconte-t-il. Vous devriez voir comment les gens réagissent ! Quand je sens ce genre de jugement, je pousse un peu la note. »

« J’ai toujours été un petit fauteur de trouble, résume Jim Pfaus sans ambages. On ne se lance pas en bas d’une scène pour aller se cogner dans une bande de punks sans un certain désir de bousculer. Oui, je veux provoquer et défier les vieilles mentalités. Socialement, d’abord. Mais aussi, et surtout, scientifiquement. »

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