DHA
10
1984
285 - 318
DE VERCINGETORIX A ASTERIX, DE LA GAULE A DE GAULLE OU LES MÉTAMORPHOSES IDÉOLOGIQUES ET CULTURELLES DE NOS ORIGINES NATIONALES
Vercingétorix, tel qu'en lui-même la République des instituteurs l'a façonné à son image, apparaît en quelque sorte dans notre mémoire collective comme «la force tranquille» de l'histoire de France : il a plié devant César, mais ne s'est pas humilié ; il a perdu plus d'une bataille livrée contre le plus grand capitaine de son temps, il a même perdu la guerre, mais a préservé, aux yeux des pédagogues républicains traumatisés par «la débâcle» de 1 870, l'essentiel : l'honneur de la France vaincue; de la France, car il va de soi que la Gaule de Vercingétorix n'existe que par rapport à la France éternelle. Dans cette grandiose perspective finaliste, la Gaule c'est la France en puissance, le berceau, le nid de notre nationalité, le creuset béni des dieux et de l'Histoire d'où a surgi tout armé, comme Athéna, notre peuple, car il est entendu une fois pour toutes que les Gaulois sont réellement nos ancêtres.
Derrière cette belle image d'Epinal, qui fleure bon «l'encre violette», le cartable neuf, le tableau noir et les feuilles mortes de la rentrée des classes, et à laquelle son caractère naturel conférait un aspect intemporel, se profile en fait un des mythes fondateurs les plus difficiles à cerner dans tous les domaines du savoir, de l'art et de la culture. Les Actes de l'important colloque de Clermont-Ferrand (1980) fournissent d'ailleurs un remarquable tableau des interprétations - contradictoires et polémiques - littéraires, musicales, historiographiques , suscitées par ce thème (l)^t de leurs fondements idéologiques et anthropologiques. Nous n'avons pas la prétention de les résumer, ni celle de reprendre leurs hypothèses fécondes. Notre propos est différent et moins ambitieux : nous souhaitons seulement montrer qu'avant de parvenir à cet état naturel et dépolitisé, qui se manifeste grosso modo de 1945 à 1968, l'image contemporaine de «nos ancêtres les Gaulois» a longtemps constitué un enjeu idéologique de poids dans la littérature scolaire, que la mise en scène du mythe gaulois dans les livres pour enfants résulte d'un long combat qui est lui-même le plus souvent l'écho de polémiques