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L’école de la désintégration

Communautarisme. L’enseignement de l’arabe dans les petites classes n’est qu’un des aspects de l’idéologie en vigueur dans l’Éducation nationale, consistant à mettre en avant les cultures d’origine. Une hérésie qui condamne toute intégration.

Najat Vallaud-Belkacem. Des mesures démagogiques et dérisoires qui masquent le désastre du système scolaire. Photo AFP
Najat Vallaud-Belkacem. Des mesures démagogiques et dérisoires qui masquent le désastre du système scolaire. Photo AFP

« En 2009, écrit Alain Finkielkraut dans son essai l’Identité malheureuse, je me suis rendu dans l’école primaire de la rue des Récollets, à Paris, où j’ai été élève. Dans le hall, accrochée au mur, une grande carte du monde avec de nombreuses photographies d’enfants épinglées pour la plupart sur les pays du continent africain. Au bas de la carte, cette légende : “Je suis fier de venir de…”. J’ai pu alors mesurer le changement. » Né de parents polonais, naturalisé à l’âge de 1 an, le philosophe écrit : « Jamais l’école ne m’a fait honte de mes origines. Jamais elle ne m’a demandé de renier ma généalogie. Jamais non plus elle ne m’a invité à m’en prévaloir. » À l’époque, seul compte le mérite. « L’origine était hors sujet. »

Les temps ont changé et, aujourd’hui, l’origine semble prépondérante, du moins quand il s’agit d’une origine exotique. Une nouvelle preuve vient d’en être donnée par la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, qui a annoncé que les langues au programme des enseignements de langue et de culture d’origine (Elco) allaient désormais relever du programme scolaire national, en commençant notamment par l’arabe, pour lequel 60 000 élèves seraient concernés. Que sont ces Elco ? Créés dans les années 1970 à la faveur d’accords bilatéraux avec les pays d’origine des populations immigrées, ils avaient pour but d’aider les enfants de ces populations à maintenir un lien avec ces derniers… puisqu’il semblait acquis qu’ils allaient y retourner un jour ! Il s’agissait alors de l’Algérie, du Maroc, de la Tunisie, de la Turquie, de l’Espagne, de l’Italie, du Portugal, de la Serbie et de la Croatie.

Pourquoi une telle initiative ? Officiellement, il s’agit d’exercer un contrôle accru sur les contenus comme sur les enseignants en les réintégrant dans le droit commun. En vérité, comme l’explique Annie Genevard, députée LR du Doubs, « les professeurs seront toujours majoritairement étrangers et le ministère n’aura aucun contrôle véritable sur les enseignements ». En outre, la ministre souhaite que l’apprentissage démarre, non au collège, comme toute langue vivante, mais au début du primaire. Or ce cycle pose problème car, pour qui connaît un peu la réalité du terrain, les élèves à mal, parfois très mal maîtriser la lecture y sont très nombreux. « En outre, si on prend le cas de l’arabe, ce ne sera pas une langue vivante de plus, mise à disposition de tous, comme l’anglais ou l’espagnol », reprend Annie Genevard. Concrètement, l’arabe sera choisi par des enfants arabophones, chez qui la pratique du français est parfois défaillante. « On se trouve donc en face d’un enseignement communautarisé de la langue. » Le Haut Conseil à l’intégration (HCI), dissous en 2012, avait d’ailleurs alerté les responsables politiques sur les dangers que recelait un enseignement trop souvent éloigné des critères en vigueur en France. Figuraient notamment, au registre des critiques, des passages contestables sur la place de la femme, de la religion, des cours dispensés par des professeurs étrangers ne parlant pas le français ou des divergences importantes sur la notion même d’appartenance nationale…

Dans le cas présent la polémique a démarré à l’Assemblée nationale. Question de la parlementaire : cet enseignement ne risque-t-il pas de déboucher sur une exacerbation du communautarisme ? Réponse (crispée) de la ministre qui voit dans cette interrogation « des fins idéologiques inavouées, qu’il ne faut pas hésiter à qualifier de profondément xénophobes ». Une réponse d’une violence étonnante à ce qui n’était qu’une invitation au débat. « La ministre me dit que c’est une réaction identitaire, poursuit Annie Genevard. Pour elle, promouvoir la langue de son pays, c’est faire preuve d’étroitesse nationaliste. C’est très grave de la part du ministre de l’Éducation nationale. » Ouverte par cet échange brutal, la polémique est rapidement sortie de l’Hémicycle. On a parlé des langues étrangères « contre d’énigmatiques racines gauloises ». On a parlé d’ignorance, d’inculture, évoqué « un combat populiste et démagogique ». Sur RMC, Jean-Jacques Bourdin accuse Annie Genevard de rigidité, met en avant le fait que, les élèves français étant nuls en langue, cette initiative est plutôt bienvenue. « La question n’est évidemment pas là, corrige Annie Genevard. La question est la place du français à l’école. »

La presse a suivi ; on s’y est mobilisé pour rappeler que le taux horaire sera dérisoire, que d’ailleurs il n’y a aucun poste proposé à l’agrégation d’arabe et seulement quatre au Capes (ce qui, au passage, devrait plutôt inquiéter : de quels professeurs s’agira-t-il ? ), que nos élites, voilà un siècle, quand la France était présente de Damas à Marrakech, savaient fort bien parler l’arabe, que cette langue n’est pas une langue communautaire parce qu’elle est parlée partout sur la planète, qu’elle est moins enseignée en France que le russe ou le chinois alors que des millions de Français la pratiquent au quotidien (il est bon, en effet, de le reconnaître), etc. Bref qu’il s’agit de se garder d’une « francité farouche », que tout ceci est une excellente idée qu’il faudrait au contraire soutenir et développer. « C’est plutôt l’absence d’enseignement de l’arabe par l’État qui engendre un risque de communautarisme », peut-on ainsi lire en conclusion d’un article dans un grand quotidien national.

Annie Genevard, pourtant, n’en démord pas. « La ministre doit avoir le courage de dire aux familles que la réussite scolaire passe d’abord par la maîtrise de notre langue », insistait-elle dans une tribune publiée sur le site de Valeurs actuelles. N’est-ce pas là, précisément, où le bât blesse ? Au vu des réformes engagées ou poursuivies, on peut douter que la réussite scolaire soit la priorité de Najat Vallaud-Belkacem, en outre, le dogmatisme idéologique de la ministre, flagrant pour les questions liées au genre, la rend sans doute incapable de mettre ainsi en avant, auprès de populations étrangères, la prééminence de notre langue. « Toutes les langues sont d’égale dignité, rappelle pourtant Annie Genevard. Mais c’est une question de priorité, de préalable. Pour la réussite des enfants, tout le monde sait qu’il faut mettre le paquet sur la langue française. Ce n’est pas le franfrançais contre les langues étrangères, c’est une question de priorité. C’est la langue française qui fait ciment, qui fait le lien, le destin partagé. »

« Sur le plan politique, votre initiative est un chiffon rouge pour tous ceux qui s’alarment de l’islamisation des banlieues, de notre incapacité à digérer trente années d’immigration, dont une forte partie d’origine nord-africaine », s’alarment, dans une lettre ouverte adressée à la ministre, le député LR du Vaucluse Julien Aubert et une cinquantaine de parlementaires signataires. « Vous fracturez doublement, en jetant du sel sur des plaies vives de l’opinion publique, et en actant le fait que l’intégration par la langue française n’est pas la seule voie possible. »

Voilà à quoi se résume aujourd’hui l’action politique en ce qui concerne l’école : occuper l’espace, même au prix d’une polémique, par des mesures à la fois démagogiques et dérisoires, alors que l’essentiel, la transmission de connaissances — lire, écrire, compter —, est en lambeaux.

En la matière, ce relativisme linguistique sur le sol national, cette façon de considérer que mettre la France et le français en avant « renforce le sentiment d’exclusion », Najat Vallaud-Belkacem ne fait d’ailleurs que marcher dans les pas de ses prédécesseurs. Vincent Peillon soutenait déjà que « l’enseignement de l’arabe [devait] être un axe de développement stratégique du ministère ». Et, dans l’affaire Benzema, la seule figure politique à affirmer comprendre le footballeur a été Benoît Hamon, lui-même ancien ministre de l’Éducation nationale. Cela fait désormais près de trente ans que les initiatives culturelles en tout genre se penchent plus volontiers vers les minorités et l’exotisme que vers le socle commun et le baptême de Clovis. Cela s’est fait lentement, génération après génération, les élèves d’hier devenant les professeurs, voire les ministres d’aujourd’hui. Pour arriver en fin de compte au “changement” qui a tant surpris Alain Finkielkraut.

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