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HISTOIRE(S) DE SCIENCE
 
Août 2007

Ce paradoxe avec lequel Einstein rejetait le hasard

Albert Einstein pensait tenir une contradiction de la physique quantique dite "probabiliste", celle que défendait Niels Bohr. Le paradoxe EPR allait les opposer 20 ans, avant d'être résolu expérimentalement dans les années 80. En faveur de Bohr.

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1935 : Albert Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen proposent une expérience qui doit mettre en évidence une contradiction de la physique quantique. Ils la baptisent "paradoxe EPR", à partir des initiales de leurs noms.

C'est qu'avec la physique quantique, Einstein entretient une relation ambivalente. D'un côté, il en utilise certains des principes pour expliquer, en particulier, l'effet photoélectrique (ceci dès 1905, les quantas n'ayant été introduits qu'à peine cinq ans plus tôt par Max Planck), de l'autre elle lui inspire sa fameuse phrase : "Dieu ne joue pas aux dés dans l'Univers".

Einstein se méfie en effet de la mécanique quantique et de son interprétation dite "probabiliste". Il refuse le point de vue de Niels Bohr, l'un des pères de cette mécanique, qui considère qu'il est sans objet de parler d'un "état quantique" préalablement à toute mesure : tant qu'aucune mesure n'a été effectuée, pense Bohr, l'état est indéterminé, et lorsque la mesure est effectuée, l'état est déterminé aléatoirement.

Niels Bohr (à gauche) et Albert Einstein en 1925. Les deux hommes interprètent différemment la mécanique quantique.

Einstein au contraire soutient que les états sont déterminés à tout moment, et donc en particulier avant la mesure, celle-ci ne faisant que les révéler. Les deux hommes s'opposent donc sur un terrain essentiellement philosophique, car ils sont d'accord sur la validité des résultats de la théorie quantique, c'est à dire sur ce qui est mesuré.

C'est dans ce cadre qu'Einstein avance, avec Podolsky et Rosen, une expérience de pensée qui consiste à émettre à partir d'un atome deux photons dits "intriqués".

L'intrication est l'état quantique particulier d'une paire de particules, caractérisé par la propriété suivante : la mesure d'une quantité liée à l'une des particules implique nécessairement que la même quantité soit parfaitement déterminée pour l'autre, et ce bien que le résultat de la première mesure ne puisse être connu à l'avance.

Des particules liées entre elles quelle que soit la distance qui les sépare

Le paradoxe EPR consiste alors à mesurer simultanément (c'est à dire dans un laps de temps suffisamment court pour qu'aucune information n'ait eu le temps de s'échanger entre les deux particules) la position de l'un des photons et la vitesse de l'autre. Les photons étant intriqués, on dispose dès lors d'informations précises et simultanées sur des quantités qui... ne peuvent être mesurées simultanément selon la mécanique quantique et son principe d'incertitude.

Dès lors, de deux choses l'une : soit l'expérience de pensée comporte une erreur de logique (ce n'est pas le cas) ou d'hypothèse (on y reviendra), soit - c'est la conclusion d'Einstein - la physique quantique doit être améliorée. Einstein propose donc une théorie déterministe incluant des "variables cachées" (non révélées par la mesure) pour expliquer le phénomène EPR, ce que Bohr n'accepte évidemment pas puisqu'il dénie toute existence aux états quantiques avant la mesure.

Alain Aspect donne expérimentalement tort à Einstein, mais son résultat impose de renoncer à une notion intuitive

Le débat entre les deux hommes durera 20 ans, jusqu'à la mort d'Einstein (Bohr décèdera 7 ans plus tard, en 1962). Et il faudra attendre encore près de 30 ans supplémentaires pour qu'un dispositif expérimental permette de trouver une solution au paradoxe EPR. Une solution pour le moins suprenante.

En 1981 puis en 1982, Alain Aspect teste ainsi expérimentalement un théorème de 1964 du à John Stewart Bell qui permet de trancher sur l'existence des variables cachées chères à Einstein. Réponse : il n'existe pas de variables cachées locales.

Alors, cela veut-il dire que l'expérience EPR est erronée dans son principe ? Oui et non. Pour le comprendre, rappelons qu'elle part d'un cas de figure précis : des photons intriqués. Dès lors le problème revient à comprendre ce que signifie profondément l'intrication. Et là, trois possibilités : soit de l'information est échangée entre les deux photons (c'est impossible, l'information ne pouvant circuler plus vite que la lumière), soit l'intrication signifie que les états quantiques des deux photons étaient déterminés dès le départ (ce que l'expérience d'Aspect a réfuté), soit enfin il faut renoncer à l'hypothèse de localité, faite par Einstein.

En clair, il existe un lien entre les deux photons qui 1) ne s'explique pas par un transfert (impossible) d'information entre eux - c'est aussi pourquoi, a contrario, l'intrication ne permet pas de transférer de l'information : la causalité n'est pas violée - ni 2) par l'existence de propriétés cachées. Ce lien n'est donc pas local : deux particules peuvent être séparées autant que nécessaire dans l'espace, le lien persiste. Les deux photons, du point de vue de la physique quantique, continuent à ne former qu'un seul objet.

Mystérieux ? Sans doute. On comprend qu'Einstein ait cherché à trouver à ce phénomène une explication plus conforme à l'intuition. Mais l'expérience de 1981, maintes fois confirmée depuis, lui a finalement donné tort. La physique quantique bouleverse décidément le sens commun.


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