Déchéance de nationalité : « Ce que propose Hollande est déjà dans le code civil ! »

Déchéance de nationalité : « Ce que propose Hollande est déjà dans le code civil ! »

Politiques et journalistes ont la mémoire courte. Selon l’historien Patrick Weil, l’extension de la déchéance de nationalité proposée par François Hollande est déjà inscrite dans le droit. Entretien.

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Vlan ! Vous l’avez entendu ce lundi : François Hollande souhaite élargir les possibilités de déchéance de la nationalité.

Depuis que le Président a fait cette annonce devant le Congrès, on lit partout qu’il faut modifier l’article 25 du code civil. Celui-ci ne prévoit la déchéance que pour les plurinationaux qui ont acquis la nationalité depuis moins de quinze ans.

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Patrick Weil  Paris, le 22 avril 2015
Patrick Weil à Paris, le 22 avril 2015 - ActuaLitté/Flickr/CC

Patrick Weil est directeur de recherche au CNRS et auteur d’un récent ouvrage rédigé avec Nicolas Truong et publié chez Grasset : « Le Sens de la République » (2015).

Lorsque nous l’avons contacté, il était furibond, agacé par les explications des journalistes qui ont suivi les déclarations de François Hollande.

Rue89 : Le Président veut que la déchéance concerne aussi ceux qui sont nés français. Or, vous dites que c’est une ânerie et que la loi permet déjà cela. Pourquoi ?

Patrick Weil : L’article 23-7 du code civil prévoit depuis le 12 novembre 1938 la possibilité de déchoir de la nationalité un Français né français qui possède une autre nationalité.

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Cette disposition fut adoptée par l’un des fameux décrets-lois d’Edouard Daladier, dans une période où l’on approchait de la guerre – Hitler était au pouvoir, l’Espagne était en guerre civile –, en contrepartie de l’acceptation très libérale de la double nationalité et en réaction à la loi de 1927 qui prévoyait par exemple la naturalisation après trois ans de séjour seulement.

Cette disposition a été maintenue après la Libération dans l’ordonnance de 1945 signée du général de Gaulle, et elle est donc intégrée à notre législation depuis 75 ans. Elle a été appliquée à quelques centaines de personnes, des collaborateurs après la guerre mais aussi des communistes pendant la guerre froide.

Qu’est-ce que prévoit cet article exactement ?

La formulation est : 

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« Le Français qui se comporte en fait comme le national d’un pays étranger peut, s’il a la nationalité de ce pays, être déclaré, par décret après avis conforme du Conseil d’Etat, avoir perdu la qualité de Français. »

« Qui se comporte en fait » est une formule large et vague. Depuis la guerre, et surtout à partir des années 50, le Conseil d’Etat a restreint l’application de cette formule à ce qu’on appelle le « défaut de loyalisme » (voir encadré) qui peut bien sûr s’appliquer au terrorisme.

Oui, mais peut-on considérer qu’un terroriste « se comporte comme le national d’un pays étranger » ?

C’est le point qu’il faudrait corriger, par un court amendement. Sauf si le Conseil d’Etat acceptait de considérer Daech comme un Etat de fait... Mais l’important est que cette disposition existe, qu’elle peut être adaptée facilement à la lutte contre le terrorisme sans déroger à notre tradition juridique et sans modifier la Constitution, ce qui serait inacceptable.

L'Assemble nationale, le 18 juin 2012
L’Assemblée nationale, le 18 juin 2012 - JOEL SAGET/AFP

Mais n’y a-t-il pas de différences entre la « perte » et la « déchéance » ?

Dans le décret de 1938, la déchéance est une catégorie de la perte. Elle s’est ensuite autonomisée. Mais ce sont des questions de terminologie juridique. En pratique, cette catégorie de perte est une déchéance car elle est une décision de l’autorité publique et pas un acte volontaire de l’intéressé, et c’est exactement la même procédure avec les mêmes effets que la déchéance.

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Pourquoi personne ne l’a vu ?

Parce que cette disposition n’est pas dans la bonne case dans l’ordonnancement du code civil et que les journalistes et les politiques et leur administrations ne travaillent pas ou ne lisent pas assez !

« Ce dispositif n’est plus pratiqué actuellement », indique le ministère de l’Intérieur. N’est-il pas tombé en désuétude ?

Cela ne signifie pas qu’il n’est plus opérant ! Il est très peu utilisé car peu connu et depuis 60 ans, le défaut de loyalisme ne pouvait s’appliquer. Son utilisation est malheureusement aujourd’hui justifiée. Mais avec les mêmes limites que la déchéance : il n’est pas possible de rendre quelqu’un apatride. Et il faut passer par le Conseil d’Etat.

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Et, au-delà du symbole, quelles en sont les conséquences juridiques ?

Si un individu est déchu de sa nationalité alors qu’il est en France, il peut être expulsé. Les conséquences peuvent donc être importantes pour lui ou pour elle.

Désuétude ?

A la Libération, le critère de « défaut de loyalisme » s’applique surtout aux Français qui ont collaboré avec l’occupant nazi. A partir de 1948, le gouvernement se tourne vers les ouvriers qu’il considère responsables de « troubles sociaux », notamment les Français d’origine polonaise.

L’article 23-7 reprend en réalité l’article 96 du code de la nationalité (abrogé en 1993). Ce dernier n’a été utilisé que trois fois depuis 1958, selon le ministère de l'Intérieur : 

  • en 1958, à « un Franco-Norvégien ayant donné des conférences et publié des articles dirigés contre la France » ;
  • en 1960 à « un Franco-Guinéen, qui écrivait des articles extrêmement violents contre le gouvernement français » ;
  • en 1970 à un Franco-Allemand qui, « se comportait, dès avant 1939, comme un ressortissant allemand et manifestait ouvertement son hostilité à l’égard de la France ».

Mais Patrick Weil insiste : il faut retenir que cette procédure a été utilisée « plus de 200 fois entre 1949 et 1953 ».

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