SANTÉ

En hausse chez les hommes

Yves Gervais et Céline Braun ont accueilli leur premier enfant, Yannick, en 2010. Céline était tombée enceinte naturellement, sans trop de difficultés. À l’époque, rien ne laissait présager un quelconque problème de fertilité.

Quelques mois après la naissance de Yannick, rêvant d’une famille nombreuse, le couple de Mercier, sur la Rive-Sud de Montréal, s’est réessayé pour un deuxième. Le temps a passé, mais la grossesse tardait à venir.

Un couple est considéré comme étant infertile après avoir eu des rapports sexuels réguliers pendant un an sans réussir à concevoir. Céline et Yves, eux, se sont essayés pendant près de trois ans avant de consulter en clinique de fertilité, en 2013.

Au terme d’une batterie de tests, le verdict est tombé : les spermatozoïdes de « qualité » chez Yves étaient peu nombreux, trop peu nombreux. En fait, les chances que Céline tombe enceinte naturellement n’atteignaient pas… 1 %.

Les médecins ont décelé chez Yves une varicocèle – une dilatation des veines dans un testicule fréquemment en cause dans l’infertilité masculine.

« Je n’en connais pas la cause exacte, mais j’ai pu comprendre que mon mode de vie au travail – je suis comptable et je travaille souvent assis – a pu créer un réchauffement ayant contribué à en arriver là », explique Yves Gervais, 40 ans.

FERTILITÉ EN BAISSE

Un nombre croissant d’études le démontrent : les facteurs liés à l’environnement et au mode de vie expliqueraient en partie l’apparente hausse des cas d’infertilité observée dans les pays industrialisés au cours des dernières décennies.

Alors qu’il y a 30 ans, on estimait que 5 % des couples avaient des problèmes de fertilité, ce taux dépasse aujourd’hui les 15 %. Et dans la moitié des cas, l’homme est en cause.

La plupart des études montrent que la quantité et la qualité des spermatozoïdes sont en baisse depuis au moins 50 ans. Une équipe de chercheurs français a récemment comparé des spermogrammes antérieurs aux spermogrammes actuels. Résultat : la concentration des spermatozoïdes a chuté de 32 % entre 1989 et 2005, une baisse graduelle d’environ 2 % par année.

Qui plus est, un homme peut avoir un spermogramme en apparence normal tout en étant infertile. En fait, pas moins de la moitié des cas d’infertilité masculine sont de cause inconnue, souligne Daniel Cyr, professeur à l’INRS-Institut Armand-Frappier.

Selon l’hypothèse de son laboratoire, les cas d’infertilité inconnue pourraient être liés au processus de maturation des spermatozoïdes.

SPERMATOZOÏDES IMMATURES

En collaboration avec la clinique Fertilys, à Laval, le laboratoire de Daniel Cyr vérifie actuellement si les échecs en fécondation in vitro pourraient être associés à l’immaturité des spermatozoïdes. Lorsque le processus de maturation ne se fait pas correctement, des lésions peuvent se produire sur les spermatozoïdes, ce qui peut réduire, voire anéantir leur potentiel de fécondation.

« Il y a des échecs en fécondation in vitro dont on ne connaissait pas la cause jusqu’à récemment, et de plus en plus, on découvre que cela s’explique par des cassures plus fréquentes d’ADN dans les spermatozoïdes. », indique le Dr Pierre Miron, obstétricien-gynécologue et président fondateur de la clinique Fertilys, à Laval.

Des études réalisées sur des animaux ont montré que des facteurs environnementaux peuvent jouer un rôle dans le processus de maturation des spermatozoïdes dans l’épididyme, le tissu dans lequel les spermatozoïdes terminent leur maturation, acquièrent leur capacité de nager et de féconder.

« Par exemple, la dioxine, un pesticide que l’on trouve dans l’environnement et chez presque tout le monde né après les années 60, est un contaminant qui, chez l’animal, peut accélérer le processus de transport dans l’épididyme, ce qui fait en sorte que les spermatozoïdes ne maturent pas proprement », explique Daniel Cyr, dont le laboratoire, à Laval, a développé la première lignée cellulaire d’épididyme de l’homme.

« Si le gouvernement ne protège pas suffisamment sa population des toxines environnementales, il devrait être l'ultime responsable de l'infertilité que cela occasionne et donc défrayer les soins requis pour aider les couples infertiles à concevoir. »

– Le Dr Pierre Miron, qui déplore le fait que le projet de loi 20 entend abolir la couverture de la RAMQ de la fécondation in vitro chez les couples infertiles médicalement.

D’autres produits peuvent affecter la paroi habituellement étanche de l’épididyme, faisant en sorte que le système immunitaire s’attaque aux spermatozoïdes. C’est le cas du chlore de méthyle, un solvant qu’on trouve en aérosol dans certaines industries.

Le mode de vie peut aussi créer un climat propice à l’altération de la structure de l’ADN des spermatozoïdes (stress oxydatif). La cigarette, une mauvaise alimentation, le stress et l’abus d’alcool sont montrés du doigt.

C’est aussi le cas de la chaleur élevée au niveau de l’entrejambe, qui peut non seulement créer du stress oxydatif, mais aussi des varicocèles, comme ç’a été le cas pour Yves Gervais.

PROCRÉATION ASSISTÉE

Heureusement, recevoir un diagnostic d’infertilité masculine ne signifie pas pour autant mettre une croix sur son projet d’enfant.

Yves Gervais et Céline Braun ont fait un premier traitement de fécondation in vitro en janvier 2014. L’embryologiste a utilisé une technique pour injecter un spermatozoïde d’Yves dans chaque ovocyte en santé prélevé chez sa femme.

Neuf mois plus tard, le petit Yoann est né, pétant de santé.

« Ce qui est bien, c’est qu’il n’y a pas de différence dans la santé de nos deux fils : elle est impeccable dans les deux cas », dit Yves Gervais, qui salue l’« excellent travail » de l’équipe médicale.

« Pour nous qui aspirions à fonder une famille, c’est pratiquement de la magie, conclut-il. Ça ne se dit pas facilement, mais chaque matin, quand on voit nos fils, c’est un bonheur total. »

DISPARITÉS RÉGIONALES

Quelques études contredisent la baisse de la quantité et de la qualité des spermatozoïdes, dont certaines réalisées en Finlande et aux États-Unis. Cela laisse présager l’existence de disparités géographiques dans la fertilité masculine. « Certaines études confirment que c’est associé à des régions spécifiques où il peut y avoir, à titre d’exemple, plus de pesticides », explique le Dr Pierre Miron, président fondateur de Fertilys.

PERTURBATEURS ENDOCRINIENS

Un autre type de menace plane sur la capacité reproductive des hommes : les perturbateurs endocriniens. Les plus connus sont le bisphénol A (dans les bouteilles et les boîtes de conserve), les phtalates (dans les cosmétiques) et l’éther de glycol (dans des solvants). « Beaucoup de composés agissent en mimant l’effet d’hormones féminines, explique le Dr François Bénard, urologue au CHUM. Cela peut avoir un impact sur la fertilité de l’homme et sur la façon dont fonctionnent les testicules. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.