Macron à la télé : une prestation affligeante

Hier soir sur TF1, le président de la République a accordé pour la première fois un entretien télévisé. Convenu et décevant.

Michel Soudais  • 16 octobre 2017 abonné·es
Macron à la télé : une prestation affligeante
© photo : PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Enfin, était-on tenté de penser. Pour la première fois depuis son élection Emmanuel Macron acceptait de s’expliquer durant au moins une heure face à des journalistes, à la télévision. L’exercice fut en tout point décevant et, osons le dire, affligeant.

Sur la forme, nous avons eu droit à un de ces entretiens convenus, déjà vus maintes et maintes fois depuis que le général de Gaulle a jugé conforme à son rang de convoquer à l’Élysée un journaliste de la première chaîne pour poser les questions auxquelles le Président estime utile de répondre. Seul le décor du bureau avec les fauteuils du designer Patrick Jouin, un tableau du peintre belge Pierre Alechinsky ou une œuvre du street artiste Shepard Fairey – alias Obey – célébrant notre devise républicaine, reflétait un peu de cette modernité dont Emmanuel Macron se réclame. Dans ce lieu et avec ce format d’entretien, difficile d’échapper à une certaine connivence, surtout quand le Président l’installe lui-même pour esquiver une question gênante :

Sur le fond, le chef de l’État a concédé trois annonces. Parce que « l’entreprise ne peut pas être simplement un rassemblement d’actionnaires », l’an prochain il « souhaite revisiter cette belle invention gaulliste de l’intéressement et de la participation », une vieille lune. Il a « engagé des démarches pour retirer la Légion d’honneur à Harvey Weinstein », le producteur d’Hollywood accusé de harcèlement sexuel par de multiples victimes. Interrogé sur l’attentat de Marseille et les failles de sécurité constatées, il a annoncé que dès les prochains jours « toutes celles et ceux qui, étrangers et en situation irrégulière, commettent des actes délictueux quels qu’ils soient, seront expulsés », une pratique contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.

Tout au long de cet entretien, qui a duré une heure et douze minutes, Emmanuel Macron s’est d’abord employé à assumer son style sans formuler le moindre regret pour ses saillies aussi méprisantes que brutales. Durant un bon quart d’heure, faisant fi du ressenti des Français, il s’est ainsi défendu face aux journalistes Gilles Bouleau, Anne-Claire Coudray et David Pujadas d’avoir voulu « humilier » ou d’avoir été « clivant » en désignant les opposants à ses réformes comme des « fainéants » ou des « cyniques ». Tout en justifiant l’emploi du mot « bordel » prononcé, a-t-il prétendu, « dans un aparté » (filmé par plusieurs caméras). Un mot « du registre populaire, comme dit l’Académie française », qu’il maintient donc en confirmant qu’il visait les salariés de GM&S, accusés d’être accompagnés d’« activistes », alors qu’ils manifestaient avec des élus ceints de leur écharpe.

Il s’est ensuite évertué à défendre ses réformes. « Je ne suis pas là pour gérer, a-t-il lancé. Je suis là pour transformer » la France et « je continuerai au même rythme et avec la même détermination ». Mais là où on attendait que le président de la République essaie de démontrer le bien-fondé de ses réformes contestées, on a surtout eu droit à une succession d’affirmations péremptoires, de poncifs et d’inepties.

Les ordonnances réformant le code du travail « ne sont pas une hyper-libéralisation où on casse tous les droits », s’est défendu Emmanuel Macron ; « elle permettront dans toutes les entreprises de pouvoir s’adapter aux cycles économiques, à la réalité de l’entreprise par le dialogue social ». D’ailleurs, a-t-il osé, s’il y avait autant d’intérimaires chez Goodyear, c’est à cause de l’absence de dialogue social.

Rappelant sa promesse de donner « une vraie formation qualifiante aux jeunes et aux chômeurs », il assure que « la vraie inégalité aujourd’hui, c’est l’inégalité de qualification », moyennant quoi il supprime 450 millions d’euros de dotation aux régions, alors qu’elles ont en charge le pilotage de ces formations.

Dans un inévitable couplet sur le monde qui change et va faire disparaître des emplois, le Président nous a appris que nous allons « de plus en plus utiliser notre téléphone, notre ordinateur, les réseaux sociaux pour faire les opérations [bancaires] qui avant faisaient que [nous allions] au guichet ». Bon courage à ceux qui tenteront de faire un virement sur Facebook ou d’obtenir un chèque de banque par Twitter.

Justifiant son choc fiscal en faveur des plus riches, il assure qu’après l’augmentation de l’ISF et la taxe à 75 % en 2012, « ceux qui réussissaient sont partis […] et on a perdu beaucoup de talents ». Une affirmation rabâchée sur toutes les antennes mais infondée : depuis 1997 entre 0,1 % et 0,2 % seulement des assujettis à l’ISF quittent chaque année la France, pour des motifs pas forcément fiscaux, et 40 % reviennent, note Vincent Drezet de Solidaires Finances publiques.

Se défendant d’être « le président des riches », il a minoré l’intérêt de l’ISF, « une taxe pour millionnaires mais pas pour milliardaires » qui « n’est pas vraiment juste », ces derniers y échappant par des montages divers. Avant d’affirmer : « Pour que notre société aille mieux, il faut des gens qui réussissent. Et il ne faut pas être jaloux d’eux. Il faut dire c’est formidable ! » Affirmant ne pas croire à la théorie du « ruissellement » mais à « la cordée », il veut « que l’on célèbre » ceux qui réussissent car « si on commence à tirer des cailloux sur les premiers de cordée, c’est toute la cordée qui dégringole ». Curieuse image que cette cordée qui feint d’oublier que dans leur ascension sans limite nombre de premiers de cordée n’hésitent pas à se délester de leurs suivants.

À défaut d’arguments susceptibles de vraiment convaincre, le Président s’est réfugié dans une forme d’argument d’autorité. À plusieurs reprises il s’est ainsi prévalu d’un consentement des électeurs : « Le mandat qui m’a été donné par le peuple français est de profondément transformer le pays. » Le problème, car problème il y a, est que ce consentement a plus été arraché qu’accordé. Nombre d’électeurs qui, au premier tour puis au second tour, ne voulaient ni de Fillon ni de Le Pen, n’ont voté pour lui que par défaut. « J’ai été élu par des gens qui ne m’ont pas choisi », reconnaissait Emmanuel Macron le 7 mai, au soir de sa victoire. Ne pas en tenir compte et l’oublier est affligeant.

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