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Vive l'exception culturelle !

Point de vue. La tribune de Vincent Maraval est une "détestable approche, qui consiste à montrer du doigt une catégorie professionnelle", estime Jérôme Clément ancien président du CNC et d'Arte.

Publié le 02 janvier 2013 à 16h20, modifié le 07 janvier 2013 à 15h09 Temps de Lecture 4 min.

La déclaration de Vincent Maraval, entrepreneur de cinéma talentueux, ne peut rester sans réponse. Vincent Maraval est un entrepreneur de cinéma dont le bilan est éloquent : "Wild Bunch", qu'il a créé avec des associés tous issus de Canal+, est devenu un des acteurs économiques les plus dynamiques du cinéma français. Cette réussite ne l'autorise pas pour autant à traiter de cette façon la question du cinéma français.

D'abord, le titre : "les acteurs français sont trop payés", nous dit Monsieur Maraval. Détestable approche, qui consiste à montrer du doigt une catégorie professionnelle, les artistes, et à en faire les boucs émissaires d'un problème autrement plus complexe.

Non, les acteurs français ne sont pas riches de l'argent public : ce n'est certainement pas FTV et Arte qui pèsent financièrement sur le "star system" mais plutôt TF1, Canal+ et M6 qui exigent les fameux acteurs têtes d'affiche, les si bien nommés "bankable", dans les films qu'ils coproduisent.

Est-ce de l'argent public ? Non. Est-ce rentable ? Oui : les multiples diffusions de ces mêmes films permettent aux régies publicitaires d'engranger de sérieuses rentrées financières. Pourquoi ces acteurs ne toucheraient-ils pas une rémunération, eux aussi, à condition qu'elle soit raisonnable, sur la valeur qu'ils ont ainsi pu créer sur leur nom ?

Non, on ne peut pas comparer la rémunération d'un acteur français et celle d'un acteur américain, car ces deux économies du cinéma sont radicalement différentes, évoluant dans des environnements règlementaires spécifiques et de ce fait, le partage des recettes ne correspond pas à la même logique financière. Cette comparaison est aussi bizarre que de mettre en parallèle le salaire de deux chirurgiens, l'un français et l'autre chinois, sous prétexte que tous deux exercent le même métier. La décision de Gérard Depardieu de quitter le territoire français a mis le projecteur sur la question de la rémunération des grandes stars et sur l'exil fiscal, mais cela n'a rien à voir avec notre sujet : l'amalgame est un mauvais procédé.

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Sur les autres points, rappelons quelques vérités simples :
- Non, le cinéma français ne repose pas sur une économie de plus en plus subventionnée : le génie collectif de ceux qui ont conçu cette économie repose sur l'idée que nos films ne peuvent se satisfaire du seul marché en salles, trop étroit. La diffusion à la télévision est devenue vitale et, à ce titre, la relation entre la télévision et le cinéma a été régulée. Les moyens dégagés par FTV, Arte, TF1, M6 et Canal+ pour le cinéma ne sont pas des subventions mais des moyens mis en commun : c'est un jeu gagnant-gagnant pour les deux parties car les films, à force de diffusion, s'amortissent très bien à la télé.

- Non, il n'est pas honnête de comparer le coût moyen de production d'un film français (5,4million d'euros) et celui d'un film indépendant américain (3millions d'euros). Il faut comparer les films d'une même catégorie : les films d'auteur français ont un coût moyen de production environ 3 fois inférieur à leurs équivalents américains, c'est-à-dire celui des films indépendants. Le coût moyen d'un film américain "normal" est 5 à 6 fois supérieur à son équivalent français.

- Non, il n'y a pas de scandale, ni d'omerta, il y a juste la fierté d'appartenir à un système, certes perfectible, mais qui a permis à notre cinématographie de ne pas connaître le sort funeste des cinémas espagnol ou italien pour n'évoquer que ceux-là. Oui, que vive l'exception culturelle, celle qui a permis la création de Canal+ et qui a nourri les créateurs de " Wild Bunch " avant qu'ils ne volent de leurs propres ailes.
- Non, les films français ne sont pas des échecs économiques car, encore une fois, ne pas tenir compte de leur vie économique à la télévision est un non sens absolu. Il suffira de donner les recettes publicitaires des multiples diffusions à venir de "Marsupilami", d'"Astérix", "Les Seigneurs", "Stars 80" etc…pour comprendre que ce système est économiquement sain et rentable. Et puis, comment oser dire que les films en question, dont les entrées en salles sont comprises entre 2 et 6 millions, affichent "des scores qui ne sont pas honteux" ? L'insuffisance de la capacité d'analyse peut s'excuser, pas la mauvaise foi systématique.

Quant à l'appréciation sur l'année 2012 qui serait un désastre pour le cinéma français, elle prête à sourire. A-t-on oublié l'année 2011, le succès de "The Artist" et son Oscar à Hollywood ? Peut-on passer sous silence le succès d' "Intouchables" et de "Bienvenue chez les Ch'tis", grandes réussites commerciales nationales et internationales ? Bien d'autres exemples ou statistiques pourraient venir à l'appui de mon observation, qui prouveraient que l'industrie cinématographique française reste aujourd'hui l'une des plus importantes et l'une des plus influentes au monde. La France, et c'est un atout majeur, reste une terre privilégiée pour les cinéastes français et étrangers.

Alors, oui, il y a des choses à revoir et à améliorer. Dans cette période de difficultés économiques et financières, chacun doit faire attention aux budgets, aux rémunérations et aux équilibres économiques. Certes, cela doit se faire. Mais la question n'est pas de montrer du doigt une catégorie professionnelle ou une autre, mais de relever d'autres défis beaucoup plus ambitieux, ceux de la technologie d'abord, ceux de la mondialisation ensuite, et surtout de continuer à créer des conditions d'un renouvellement créatif par une politique culturelle ambitieuse.

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