Opinion : « Crise » dans les Centres jeunesse

Pas des boules de billard

Outrageant, triste, révoltant, comment trouver le mot juste pour décrire ce que l’on ressent à la lecture des constats que fait André Lebon sur les centres jeunesse ?

Toute la panoplie de moyens que le gouvernement dit mettre en place pour corriger des situations catastrophiques semble en porte-à-faux avec les réels écueils qu’il relève.

Oui, la ministre Charlebois se dit consciente des problèmes dans le fonctionnement des centres et voit la situation « en évolution ». Mais les solutions préconisées ne vont peut-être pas dans le sens d’une réelle amélioration des services. Dans ce gouvernement, on semble généralement voir les choses d’un point de vue logistique et, surtout, pécuniaire.

Oui, on ajoute des subventions là où on en a trop enlevé. On déplace le pactole de l’administration aux services, dit-on.

Je cite l’article de Tommy Chouinard et Katia Gagnon, du 8 juin : « …les coupes de 20 millions imposées l’an dernier se sont faites “dans l’administration” et 58 millions ont été ajoutés dans les services ».

Quand on parle d’« administration », on parle aussi de personnes réelles. C’est ce qui me fascine toujours quand j’entends parler le politique. On dit « structure », « organisation », « sur le terrain ». Or, ces mots recouvrent une réalité humaine qui se voit ignorer son potentiel de réaction aux changements et mutations imposés.

On parle de la clientèle vulnérable, mais parle-t-on suffisamment de l’impact qu’aura sur cette « clientèle », ces jeunes, ces enfants, ces familles, l’effet pervers des coupes sur ceux qui offrent les services ?

Tous ces gens qui travaillent auprès des personnes en besoin d’appui, de soin, d’attention, d’éducation sont aussi vulnérables aux changements et restrictions que l’on impose à leur fonction.

Le gouvernement n’a pas des boules de billard à déplacer au gré de ses réformes et plans d’action multiples. Ce sont des humains qui réagissent comme ils peuvent à la pression et de leur clientèle et de leurs patrons.

RISQUE D'EXPLOSION

Si l’on parlait maintenant de dynamique organisationnelle, un beau concept qui devrait en principe toucher une corde sensible chez nos dirigeants. Ce n’est pas ma spécialité, mais je sais qu’il y a indéniablement une mécanique dont on doit tenir compte dans l’optimisation (autre joli terme) des services. C’est un peu la formule gagnant-gagnant qui fut à la mode il y a quelque temps.

Si je parle en des termes qui me sont plus familiers, un aidant, thérapeute ou intervenant se doit d’être en suffisamment bonne posture pour offrir un service de qualité. Il peut être avisé de couper dans le gras de l’administration, mais les réformes et changements de procédures à répétition minent le moral des troupes, ce qui rejaillit sur la base.

Ce que je veux dire, c’est qu’à force de bousculer tous les intervenants et gestionnaires du réseau de la santé, le gouvernement expose le système à un risque d’explosion imminent. C’est ça que dit André Lebon.

La qualité des soins aux personnes vulnérables, en détresse, malades psychologiquement, implique nécessairement une qualité de lien qui ne s’acquiert qu’avec le temps. Le temps passé avec une même personne-ressource renforce le potentiel de guérison, d’adaptation.

Des recherches importantes en psychologie clinique ont démontré que le bénéfice d’une thérapie vient en majeure partie du lien entretenu entre le client et son thérapeute. Or, il en va de même dans toute situation de relation d’aide. Pas de lien, pas d’évolution, juste des solutions temporaires. Un « plaster sur le bobo », comme on dit. C’est ça que le gouvernement cherche ? Malheureusement, c’est l’impression que nous laissent trop souvent les propos de nos dirigeants.

Oui, bien sûr, il y a les impératifs du budget. Notre bon gouvernement travaille à notre bien en ne gaspillant pas les fonds. Mais je crois fermement qu’en pensant les choses autrement, en impliquant les intervenants de la base dans les réflexions et la prise de décision, il n’en coûterait pas plus, peut-être moins. Mais je rêve là…

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