C'était la rentrée scolaire. On avait le teint hâlé et le cœur emballé. Chacune racontait son amour d'été. On le qualifiait d'intense, d'unique, d'invincible, au moins jusqu'à mi-septembre. Puis, la vie de collège ou de lycée reprenait ses droits, et les souvenirs du beau surfeur étaient noyés sous la vague des historiettes de cour de récré.

"Amour d'été" ou "amour de vacances" : l'expression même contient l'idée d'une toquade, d'un engouement passager, saisonnier. "Ils se sont quittés au bord du chemin, sur l'autoroute des vacances, c'était fini le jour de chance." Michel Fugain clôturait ainsi son beau roman, comme si la morale à retenir était : ça ne pouvait être aussi beau, justement parce que c'était éphémère.

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Six ans après "leur jour de chance"

Salomé et Dan ont nargué les définitions et leurs sous-entendus, les distances, et la variété française à morale frustrante. "Leur jour de chance", ils l'ont transformé en années treflées, à quatre feuilles. Six exactement, depuis leur rencontre en colonie de vacances. Salomé a 16 ans, Dan 15, elle vit à Toulon, lui habite Toulouse, et dès le premier jour de colo, les adolescents échangent leur premier baiser. "J'avais déjà eu des amours de vacances, elles ne duraient pas. Alors je ne m'emballais pas, je m'empêchais de me projeter, nous n'étions que des enfants. Mais je savais. Je sentais une connexion réelle et spéciale", rembobine aujourd'hui l'étudiante émue.

Au dix-huitième et dernier jour du séjour, les jeunes amoureux se saluent d'un baiser d'adieu, selon la coutume des grandes comédies romantiques. Mais "l'alchimie était trop puissante pour en rester là", s'empresse d'ajouter Salomé. 

J'avais déjà eu des amours de vacances, elles ne duraient pas. Alors je ne m'emballais pas, je m'empêchais de me projeter, nous n'étions que des enfants. Mais je savais.

Quelques mois passent, et Dan, déterminé, écrit sobrement ces quelques mots à Salomé : "J'arrive à Toulon". Rejoindre son coup de coeur en train - dans cet interminable Intercités qui parcourt le Sud de la France comme s'il voulait dessiner une ligne d'horizon - quand on a 15 ans : la grande aventure, courageuse et terrifiante.

Salomé, de son côté, prévient ses parents de la venue, en ce mois de mars, de l'amour d'été. "J'allais leur présenter pour la première fois un garçon, et je n'étais même pas en couple avec lui." Depuis ce premier trajet décisif, Salomé et Dan n'en finissent plus de se donner rendez-vous sur les quais de gare. Ils tiennent bon, et vivent leur amour à distance.

Toulouse-Toulon jusqu'au bac, puis Toulouse-Paris, quand Salomé emménage à la capitale pour deux années de classes préparatoires, et les voilà de nouveau abonnés à l'Intercités de l'enfer, quand Salomé décroche une place dans une grande école marseillaise. À la rentrée, Dan pourra enfin quitter Toulouse et poursuivre ses études ailleurs en France. Mais Salomé vient d'être admise en stage à New York. Leur complicité depuis l'âge de "pécho en colo", leur bande d'amis qu'ils trimballent depuis ce miraculeux séjour et qui reste soudée, unie autour de leur amour, dans les grandes fêtes et à chaque vacances... : Dan et Salomé ont ainsi construit leur relation, aussi leur entourage, leur petit monde aux coins du monde.

Que ces distances puissent les séparer ? Ce n'était pas l'argument des incrédules, des aigris du cœur, il y a déjà six ans ? Bientôt, Dan et Salomé emménageront ensemble, ils l'espèrent puissamment et s'imaginent réunis dans un appartement de la capitale. 

Trente ans après l'escapade 

Fabienne, elle, bien installée avec Jean*, se rappelle à l'inverse des moments de vadrouilles. C'était en 1991, la Marseillaise était en escapade parisienne, sans son mari. Elle croise alors Jean, aussi en voyage à Paris. Lui habite en Martinique. "On ne s'est pas lâchés. Pendant des jours et des jours, on faisait complètement la bringue, parfois jusqu'à cinq heures du matin", se souvient Fabienne, amusée et nostalgique.

De ces vacances parisiennes, elle se rappelle de tout : de la soirée kleizmer dansante, du bal russe, du concert de violonistes yiddish, de l'Olympia de Nina Simone et de celui de Serge Reggiani, du restaurant délicieux au numéro 11 de la rue des Canettes... "La grande vie", lâche-t-elle dans un sourire. "Un soir, rue de la Gaîté où l'on se promenait, j'ai entendu un musicien sensationnel, il jouait devant un café. Il s'appelait Paolo, je m'en souviens encore. Jean* a couru vers Paolo pour lui demander de venir jouer que pour moi, dans notre chambre d'hôtel. C'était tellement romantique." 

Les vacances doivent finir, Fabienne retourner à Marseille, Jean en Martinique. Tous deux sont engagés, mariés. "Je croyais à une amourette parisienne, une aventure passagère, je n'imaginais pas le moins du monde quitter mon mari. Mais nous étions tombés très amoureux. Alors, pendant trois-quatre mois, nous nous sommes rejoints à Paris. Je repense parfois à cette période d’allers-retours, nos belles années, nous étions comme des enfants."

Assez de va-et-vient : les adolescents de plus de cinquante ans emménagent finalement ensemble, à Marseille. En octobre prochain, Fabienne soufflera sa quatre-vingtième bougie et Jean sera toujours à ses côtés. Peut-être alors qu'un musicien, comme au temps de Paolo, sera embauché pour la soirée. Pour célébrer, aussi, leur presque trente ans d'amour enfantin.

Dix ans après le voyage humanitaire 

Fabienne, Jean, et Paolo. Salomé, Dan, et les copains de colo. L'amour en vacances éclôt sous le regard de témoins. Ils sont là, fondus dans le décor romantique, dans la carte postale ensoleillée. Giulia* est tombée amoureuse d'Alexandre*, devant une cinquantaine d'enfants dont ils s'occupaient dans un centre aéré délabré, alors qu'ils s'étaient inscrits au même voyage caritatif.

Si l'on s'était rencontrés sur les bancs du lycée, tout aurait été peut-être moins intense. Là-bas, on partageait une expérience forte, mes sentiments se sont démultipliés.

Ils ont dix-sept ans en 2009 et deviennent très complices lors de leur mission en Asie. Au fil des journées épuisantes d'animation, Giulia remarque être de plus en plus touchée par Alexandre. Par son sincère dévouement, sa façon de mettre tout son cœur à l'ouvrage.

"Si l'on s'était rencontrés sur les bancs du lycée, tout aurait été peut-être moins intense. Là-bas, on partageait une expérience forte, mes sentiments se sont démultipliés." Et ne se sont jamais re-divisés depuis dix ans.

Ils ont beau avoir grandi, construit, vécu d'autres voyages, peut-être plus glamour, dans des espaces sûrement moins insalubres, les jeunes adultes se rappellent toujours du point de départ de leur aventure comme de leur grand évènement. Leur chance honorée. Là où d'autres auraient renoncé, et finalement relativisé de cette formule pré-mâchée, "ce n'était qu'un amour d'été".

*les prénoms ont été modifiés.