"Un bon leader ne donne plus des instructions, il pose les bonnes questions", estime Martin Reeves du bureau new-yorkais du BCG

Avec Knut Haanaes et Janmejaya Sinha, Martin Reeves est l’auteur de Quelle stratégie pour votre stratégie (éditions Manitoba Les belles lettres).

Directeur associé du bureau new yorkais du Boston Consulting Group (BCG), il était de passage à Paris pour présenter cet ouvrage.

L'occasion d'aborder avec ce dirigeant d'une des institutions majeures de la réflexion et de l'action managériale la bonne façon de diriger dans une économie mondialisée et en voie de digitalisation.

Inutile de recherche à consolider de vieilles positions : Martin Reeves en est convaincu : l'avenir est au déséquilibre intelligent.

Et vous saurez pourquoi La Fontaine a plus que jamais raison : On a toujours besoin d'un plus petit que soi.

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Martin Reeves propose de cultiver le déséquilibre permanent. Avis aux acrobates !

L’Usine Digitale : Pourquoi avez-vous choisi d’écrire un énième livre sur la stratégie ? 

Martin Reeves : Je dirige le Bruce Henderson institute, le centre de recherche en stratégie du BCG. A ce titre, j’ai rencontré de nombreux PDG d’entreprises. Quand je leur demandais ce qu’était pour eux la stratégie, j’étais très surpris de constater à quel point leurs réponses étaient confuses, étonnantes, diverses…

 

Pour certains, tout dépend de la technologie. D’autres pensent que c’est surtout un art d’exécution. D’autres encore estiment que rien n’a changé et que les vieux modèles sont toujours valides. Nous avons même au BCG des clients qui ne veulent plus entendre parler de stratégie !

 

Cette diversité de réponses m’a donné envie de revenir à cette question fondamentale : qu’est-ce que la stratégie d’entreprise aujourd’hui dans un monde globalisé et digitalisé ?

 

Pourquoi est-ce si important selon vous ?

Si nous avons écrit ce livre, qui correspond à un long travail de recherche, c’est parce que nous pensons que la stratégie est plus importante que jamais. En effet, l’écart de profitabilité entre les entreprises qui réussissent et les autres n’a jamais été aussi important : il atteint 32 points, contre 10 points il y a seulement une vingtaine d’années. Un tiers des entreprises côtées ne seront plus là dans cinq ans. Le taux de mortalité à 5 ans des grandes entreprises est passé de 5 % dans les années 70 à  30 % aujourd’hui.

 

Tout va plus vite, la concurrence s’intensifie, avoir la bonne stratégie est plus essentiel que jamais. La différence c’est qu’il n’y a plus une stratégie type. Les environnements se sont trop diversifiés. Nous avons établi qu'il y avait cinq stratégies génériques. En résumé, il y a la stratégie classique (le but est d’être le plus gros), la stratégie adaptative (être le plus rapide), la stratégie visionnaire (être le premier), la stratégie proactive (être l’orchestrateur) et la stratégie régénérative (être viable).

 

Le livre décrit plus en détail chacune de ces stratégies mais indique aussi comment choisir au mieux pour chaque marché sur lequel l’entreprise est présente, pour chaque division. On ne peut pas faire la même chose partout pour tous les produits. Il faut s’adapter au cas par cas. Cela demande une grande souplesse de conception et d’exécution.

 

Vous pointez d’ailleurs cinq conditions à réunir, parmi lesquelles figure l’ambidextrie stratégique. En quoi consiste-t-elle ?

C’est la capacité essentielle pour un dirigeant de pouvoir à la fois exploiter les conditions actuelles de succès de son marché et d’explorer de nouvelles manières de faire pour le futur. C’est de réussir à concilier les contraintes de la tyrannie du trimestre et les actions à long terme. Cela exige des dirigeants d’entreprises d’être dans un équilibre assez instable. Le management à l’ancienne était très monolithique. Une fois la décision prise, elle ruisselait de haut en bas dans toute l’entreprise.

 

Aujourd’hui, il faut quasiment créer ce déséquilibre, l’entretenir en permanence. L’objectif est de réussir à tester constamment de nouvelles choses.

 

Ce que fait Google en devenant Alphabet est très éclairant. Une partie de leur activité (les moteurs de recherche) est mature mais l’entreprise a lancé toute une série de nouveaux domaines (par exemple les voitures autonomes). Pour réussir, elle avait besoin d’une organisation qui permette aux deux de coexister. C’est aussi un des enjeux du changement de nom.

 

A cette nouvelle façon de concevoir la stratégie correspond-il une nouvelle forme de leadership ?

Oui. Pour ne donner qu’un exemple mais qui est essentiel, le leader aujourd’hui n’est plus celui qui donne des instructions mais celui qui sait poser les bonnes questions. Cela change beaucoup de choses car cela se décline à tous les niveaux de l’organisation.

 

L’entreprise qui réussit aujourd’hui n‘a plus rien d’une organisation figée ou tout se décide en haut. Ce mode de décision peut être toujours adapté, mais pas pour tout, tout le monde. Diversifier les manières de décider est indispensable. Une des complexités du métier de dirigeant aujourd’hui est qu’il doit savoir adapter au cas par cas. Notre livre reprend des exemples nombreux.

 

Regardez ce qu’a fait UBS, une entreprise centenaire qui décide d’investir un milliard de dollars pour développer un service de livraison en J+1 avant même qu’Amazon devienne ce qu’il est aujourd’hui. Il  y a là une vraie vision, les dirigeants ont su créer un environnement pour se développer dans le futur, ils ont eu l’intuition de ce qui pourrait advenir.

 

Pour une réussite, combien d’échecs ?

Pour ce que nous avons appelé les stratégies régénératives, nous avons trouvé beaucoup d’exemples. J’ai aussi fait des séminaires un peu partout dans le monde et je demandais à chaque fois quelles entreprises parmi les présentes avaient entrepris une transformation au cours des deux dernières années. A chaque fois tout le monde levait la main.

 

Or trois quarts de ces transformations sont des échecs. Parmi les nombreuses raisons, je tiens à souligner que souvent le principal ennemi ce sont les succès passés. Trop de dirigeants bloquent parce qu’ils pensent que ce qui a réussi hier fonctionnera aujourd’hui mais aussi demain. Ajoutez à cela l’idée fort répandue selon laquelle changer est trop compliqué et qu’on va continuer de la même façon et vous avez une idée assez juste des blocages.

 

Revenons à l’ambidextrie. Comment la susciter ? L’entretenir ?

Ce que fait Pepsi est assez intéressant. Dans toutes les unités du groupe, il y a une équipe pour faire fonctionner le business au jour le jour et, parallèlement, une autre qui travaille aux meilleurs moyens pour réinventer le business. C’est typique du savant déséquilibre qu’il faut savoir créer entre ce qui marche aujourd’hui et ce qui va marcher demain. Cela crée évidemment des tensions entre les équipes. La pdg de Pepsi, loin de chercher à  réduire les tensions, cherche à ce que les équipes ne s’entendent pas trop bien. Elle compte les plaintes, les réclamations des uns et des autres. C’est pour elle quasiment le signe que ce système fonctionne bien. Tout cela est régulé évidemment, il ne s’agit pas que les gens passent plus d’énergie à se combattre qu’à travailler. Mais ce que montre ce système, c’est que la plus grande crainte de la PDG serait que l’entreprise se repose sur ses lauriers et soit dans une sorte de routine, délétère à terme.

 

En France, il y a actuellement un mot qui connaît un grand succès, c’est celui d’uberisation. Qu’en pensez-vous ?

Dans tous les secteurs, les technologies de l’information sont essentielles pour comprendre l’environnement et son évolution. En outre, de plus en plus, la taille est davantage un obstacle qu’un actif. Les petites entreprises peuvent aujourd’hui prendre plus facilement le dessus que par le passé. Elles peuvent bouger plus facilement.

 

Nous conseillons aux grandes entreprises d’élargir le champ de leur veille. Elles ne doivent plus seulement regarder leurs concurrents mais d’observer toutes les petites entreprises et notamment celles qui sont au marge de leur activité. Si je devais synthétiser le message du livre en une phrase ce serait : comment rester gros en agissant comme si vous étiez petit.

 

Pour s'initier à la stratégie de la stratégie, le BCG a développé une appli pour IPad, où il s'agit de vendre de la limonade dans les cinq districts de New York. Elle est disponible à cette adresse : https://itunes.apple.com/us/app/your-strategy-needs-strategy/id951248714.

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