Crise de l’élevage : 5 scandaleux mensonges officiels

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Par Eric Verhaeghe Publié le 15 février 2016 à 10h21
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10%L'embargo sur la Russie a réduit les exportations agricoles françaises de 10 %.

La crise de l’élevage en France n’en finit pas, et le gouvernement n’en finit pas de ne pas la finir. La semaine qui vient devrait être « critique » pour François Hollande sur ce front, et déjà les mensonges vont bon train sur la réalité des solutions qui sont en passe d’être prononcées. En voici un petit décryptage.

Premier mensonge: la crise de l’élevage et la responsabilité de Hollande!

La crise de l’élevage en France, au sens large (filière porcine, filière lait), a connu une accélération depuis deux ans, sous l’effet de deux coups de boutoir.

Le premier s’appelle l’embargo russe, qui a brutalement réduit les débouchés agricoles européens de 10%. Cet embargo est une réponse aux sanctions décidées par l’Union contre la Russie dans le cadre de la crise ukrainienne. Sur ce point, la France s’est contentée de suivre l’Allemagne, mais François Hollande est politiquement responsable de la décision.

Le second s’appelle la suppression des quotas laitiers dans le cadre de la PAC, intervenue en avril 2015. Cette libéralisation du marché a profité aux exploitations du nord de l’Europe dans l’indifférence manifestedu ministre français de l’Agriculture, Stéphane Le Foll. Là encore, François Hollande porte la responsabilité politique de cette situation.

En se dégageant complètement de la situation, François Hollande commet donc un premier mensonge.

Deuxième mensonge: la crise de l’élevage en urgence

Les appels à l’aide de la filière viande en France se multiplient depuis deux ans. Voici, par exemple, ce que certains avaient publié à l’époque:

Chacun découvre, ou va découvrir, mais un peu tard que les productions animales et la transformation agroalimentaire sont délocalisables. Toute la filière est impactée. Des abattoirs continuent de mettre la clé sous la porte. Les suppressions de postes et fermetures d’industries agroalimentaires se poursuivent. Avec des retombées sur l’emploi, l’économie et la vie locale.

La crise qui frappe n’a donc rien de nouveau. Elle est annoncée, décrite, répétée sans relâche depuis deux ans, dans l’indifférence complète des élites parisiennes.

En faisant mine de découvrir la situation, et en la traitant sous le coup d’une urgence totalement simulée, le gouvernement omet donc les avertissements qu’il reçoit de façon très régulière depuis deux ans.

Troisième mensonge: libre-échange et crise de l’élevage

Pour expliquer la crise,le gouvernement et les éleveurs ont recours à un joli petit mensonge qui fonctionne toujours à merveille. À les entendre, la France subit une véritable attaque frontale de produits étrangers sans possibilité de répliquer.

La France importe 44 % des poulets consommés sur son territoire, contre 8 % en 1990. Et produit deux millions de porcs de moins qu’en 2010.

C’est comme si le libre-échange ne fonctionnait que dans un seul sens: celui de l’importation. Manifestement, les agriculteurs français oublient de dire qu’ils sont aussi tout à fait libres d’exporter, et qu’ils ne s’en privent d’ailleurs pas. Voici un petit graphique qui en montre le détail:

Exportations agricoles françaises en millions ?

Exportations agricoles françaises en millions d'euros – Source: Ministère de l’Agriculture

On le voit, depuis 1998, les exportations agricoles françaises ont pratiquement doublé en valeur, passant d’environ 30 milliards annuels à près de 60 milliards.

À ce constat, deux bémols doivent être ajoutés. D’abord, l’année 2014, date de l’embargo russe, marque bel et bien une inversion de la tendance. Ensuite, le phénomène est beaucoup moins marqué dans l’Union Européenne où existe un marché unique. Autrement dit, l’agriculture française est plus à l’aise avec des pays où elle est pourtant pénalisée par des barrières douanières, qu’avec des pays où elle peut exporter sans barrière…

L’analyse des ventes par produit permet de mesurer mieux encore le phénomène:

Exportations de certains produits agricoles - Source: ministère de l'Agriculture

Exportations de certains produits agricoles – Source: ministère de l’Agriculture

Contrairement aux idées reçues, le lait français se vend très bien à l’étranger, surtout hors de l’Union Européenne. Sur la viande, la progression hors Union Européenne était plutôt appréciable jusqu’à l’embargo russe. Sur les animaux vivants, la progression est moins appréciable, surtout dans l’Union. Ces courbes montrent en tout cas que l’agriculture française peut profiter de l’exportation au moins autant que ses concurrents.

Imaginer que le protectionnisme bénéficierait à nos agriculteurs constitue donc un pari très hasardeux, qui mérite en tout cas une réflexion appuyée.

Quatrième mensonge: baisse des charges et crise de l’élevage

Dans son intervention télévisée le soir du remaniement, François Hollande a annoncé une « baisse des charges » pour les éleveurs. Il faut bien entendu redire ici combien cette affirmation est mensongère par omission.

Si les charges baissent, cela signifie d’abord que la protection sociale des agriculteurs coûte trop cher, alors qu’elle est déjà en déficit d’environ 3 milliards d’euros. Manifestement, personne ne souhaite aborder le problème d’une couverture sociale excessive des agriculteurs au vu de leurs contributions au système.

Quand François Hollande annonce une baisse des charges pour les éleveurs à protection sociale constante, il prend donc bien garde à ne pas dire qu’il va augmenter les charges des autres, et en particulier des consommateurs. Ceux-ci devront porter, peu ou prou, l’aggravation des déficits du régime agricole.

La baisse des charges pour les agriculteurs revient donc à faire payer le consommateur pour les éleveurs. Mais personne ne le dit, bien entendu.

Cinquième mensonge: la crise de l’élevage sera réglée par une hausse des prix

Alors que des Français peinent à boucler leurs fins de mois et regardent au moindre gramme de viande qu’ils vont acheter, le gouvernement Valls a pondu un communiqué hallucinant hier:

« Au vu de la situation particulièrement grave dans laquelle se trouvent les éleveurs français, les ministres ont indiqué très clairement aux entreprises de la distribution et de la transformation qu’il n’était pas acceptable que les négociations commerciales conduisent en 2016 à des baisses de prix pour les filières en difficulté, en particulier pour les produits laitiers »

La France est le seul pays du monde où le gouvernement se bat pour la cherté des produits alimentaires.

En soi, cette mesure qui consiste à demander à 65 millions de Français de sacrifier leur pouvoir d’achat pour faire vivre une poignée d’éleveurs est une aberration, qui prouve une fois de plus toute l’hypocrisie et la fausseté de la notion de solidarité. Surtout, cette mesure est évidemment contre-productive: plus la viande française sera chère, moins les Français et les Européens l’achèteront.

La seule solution durable consiste à réorganiser la filière viande pour la rendre compétitive par rapport à nos voisins européens, étant entendu que la politique de sanction européenne contre la Russie est suicidaire.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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