La Blockchain a sa première définition légale

Le numérique ne bouleverse pas que les business models. Pour le prendre en compte, les règles et les lois sont elles aussi en pleine mutation. Chaque semaine, les avocats Eric Caprioli, Pascal Agosti, Isabelle Cantero et Ilène Choukri se relaient pour nous fournir des clés pour déchiffrer les évolutions juridiques et judiciaires nées de la digitalisation : informatique, cybersécurité, protection des données, respect de la vie privée... Aujourd’hui, regard sur la technologie blockchain et sa première définition légale donnée par Bercy dans le cadre des minibons.

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La Blockchain a sa première définition légale

Résumé des épisodes précédents

Depuis maintenant plusieurs mois, la Blockchain défraie la chronique et reste souvent au stade de l'expérimentation en France, comme avec un projet pour le deuxième trimestre 2016 de BNP Paribas Securities Services, en partenariat avec la plate-forme de crowdfunding SmartAngels, dont l’objectif est de permettre aux entreprises non cotées d’émettre des titres sur le marché primaire en s’appuyant sur la blockchain. Le recours réussi à la technologie de la blockchain reste encore pour l’instant l’apanage des crypto-monnaies et du bitcoin plus particulièrement.

 

Mais en fait, si beaucoup glosent, peu l’ont effectivement rencontrée. Elle est encore à l’état d’étude dans les plus grands groupes (notamment bancaires) qui investissent "à titre préventif" dans cette technologie révolutionnaire et les start-up du secteur (comme R3 CEV) et des groupes de travail dans comme celui de la fédération des tiers de confiance lui sont consacrés.

 

Les Etats et la Blockchain

Le bitcoin et les autres crypto-monnaies qui s’appuient sur la technologie de la blockchain suscitent souvent la défiance des Etats - qui comme la France ne les voient pas comme des monnaies électroniques en ce qu’il n’y a pas de remise de fonds (art. L. 315-1 du Code Monétaire et Financier) - et la circonspection des autorités en charge de la régulation monétaire comme la Banque de France, l’Autorité Bancaire Européenne ou l’Autorité des Marchés Financiers l’Autorité des Marchés Financiers. Au contraire, la Blockchain, pourtant largement liée à ces crypto-monnaies, est considérée comme une opportunité par ces mêmes acteurs.

 

Une ordonnance pour les bons de caisse (et les minibons)

Ainsi, aux troisièmes Assises du financement participatif en mars 2016, Emmanuel MACRON a entendu profiter du projet d’ordonnance relative à la réglementation financière pour créer des minibons. Il s’agissait de prévoir une expérimentation d’un type de blockchain dans le domaine du financement participatif.

 

Désormais, l’ordonnance n°2016-520 du 28 avril 2016 relative aux bons de caisse définit les minibons, à savoir "des titres nominatifs et non négociables comportant engagement par un commerçant de payer à échéance déterminée, délivrés en contrepartie d'un prêt [...]" (définition des bons de caisse au sens du nouvel art. L. 223-1 du Code monétaire et financier) qui "font l’objet d’une offre par l’intermédiaire d’un prestataire de services d’investissement ou d’un conseiller en investissement participatifs au moyen d’un site interne remplissant les caractéristiques fixées par le Règlement général de l’Autorité des marchés financiers" (art. L. 223-6 du Code monétaire et financier).  

 

Une définition d’un type de blockchain

Le point le plus intéressant de cette Ordonnance est sans nul doute la première définition légale d’un type particulier de blockchain à laquelle il peut être recouru "pour l’émission et la cession de minibons", ces opérations pouvant  - de manière alternative à un registre papier (art. L.223-4 du Code monétaire et financier) - "être inscrites dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification de ces conditions, notamment de sécurité, définies par décret en Conseil d’Etat" (art. L. 223-12 du Code monétaire et financier).

 

Pour autant, cette définition ne semble pas conforme aux caractéristiques souvent reconnues (voire attendues) à la Blockchain, à savoir la gestion décentralisée et cohérente de l’historique des transactions. En effet, le fait que le dispositif d’enregistrement soit partagé ne signifie pas pour autant qu’il soit décentralisé. On peut très bien disposer un dispositif d’enregistrement détenu par un titulaire qu’il décide de partager avec d’autres utilisateurs. On notera donc que le pouvoir réglementaire ne tranche pas entre les blockchains publiques, par nature décentralisées, et les blockchains privées, au contraire centralisées.

 

De plus, les opérations enregistrées et authentifiées peuvent très bien être conservées sans se référer à des blocs intègres et successivement validés dans un ordre chronologique.   

 

Notons, concernant le Décret en Conseil d’Etat, qu’un Groupe de travail devra déterminer les conditions de nature à assurer la tenue d’un registre électronique distribué, fiable, sécurisé et susceptible d’être audité.

 

Le transfert de propriété des minibons

L’article L. 223-13 du Code monétaire et financier énonce que "Le transfert de propriété de minibons résulte de l’inscription de la cession dans le dispositif d’enregistrement électronique mentionné à l’article L. 223-12, qui tient lieu de contrat écrit pour l’application des articles 1321 et 1322 du Code civil".

 

Selon toute vraisemblance, cette disposition se projette déjà dans "l’après 1er octobre 2016", date à laquelle l’Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations trouvera à s’appliquer. En effet, les nouveaux articles 1321 et 1322 du Code civil traitent de la question spécifique de la cession de créance, transposable pour le transfert de propriété des minibons. Ainsi, le contrat écrit – requis sous peine de nullité pour les cessions de créance – prendra la forme de l’inscription de la cession dans la blockchain.

 

Ainsi, il convient de vérifier si les  "smart contracts", entendus comme "des programmes, accessibles et auditables par toutes les parties autorisées, dont l’exécution est donc contrôlée et vérifiable ; conçus pour exécuter les termes d’un contrat de façon automatique lorsque certaines conditions sont réunies. Les règles qui régissent le programme peuvent notamment recouvrir tout événement vérifiable de façon informatique.", et au rang desquels une inscription de cession peut figurer, intègrent le club fermé des preuves écrites reconnues par le Code civil.

 

Cette Ordonnance n’est qu’un premier pas vers la reconnaissance généralisée de la technologie de la blockchain. Espérons que le Groupe de travail prévu dans le Rapport de l’ordonnance pourra effectuer la synthèse nécessaire entre Droit, Technique et Organisation pour cet objet aux confluents de bien des domaines.

 

Pascal AGOSTI, Avocat associé, Docteur en droit

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