L'ex-ministre Normandeau accusée de complot, de corruption, de fraude et d'abus de confiance
Nathalie Normandeau à la commission Charbonneau
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2016 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
L'ex-ministre libérale des Affaires municipales Nathalie Normandeau, son ex-chef de cabinet, Bruno Lortie, et l'ex-vice-président de la firme de génie-conseil Roche, Marc-Yvan Côté, devront répondre à des accusations de complot, de corruption, de fraude et d'abus de confiance, après avoir été arrêtés jeudi par l'Unité permanente anticorruption (UPAC) dans le cadre d'une enquête portant sur l'octroi de financement politique en échange de contrats publics. Ils seront passibles de 14 ans de prison.
L'ex-président de Roche, Mario Martel, et une ex-vice-présidente de la même firme de génie, France Michaud, devront aussi répondre de leurs actes devant la justice, tout comme deux hommes associés au Parti québécois, soit Ernest Murray, ex-responsable du bureau de circonscription de Pauline Marois dans Charlevoix, et François Roussy, ex-maire de Gaspé et ancien attaché du député Gaétan Lelièvre.
Le mandat d'arrestation obtenu par l'UPAC indique que ces sept personnes « ont comploté ensemble et avec d'autres personnes dans le but de commettre un acte criminel soit : corruption d'un membre d'une législature, fraude envers le gouvernement et souscrire à une caisse électorale pour l'obtention ou la rétention d'un contrat, abus de confiance et fraude ».
En conférence de presse, jeudi matin, le commissaire de l'UPAC, Robert Lafrenière, a résumé le tout en disant que ces personnes étaient soupçonnées « d'être impliquées dans des stratagèmes criminels reliant à la fois des activités frauduleuses de financement politique et l'obtention indue de subventions gouvernementales ou de contrats publics ».
« Ces infractions sont graves, car non seulement elles sont en violation de la loi, elles mettent en péril le principe même de la démocratie et de la bonne gestion des biens communs », a ajouté M. Lafrenière, avant de rappeler que les lucratifs contrats accordés par le gouvernement sont encadrés par des « règles strictes visant à favoriser une saine concurrence. »
Il est injuste et inéquitable d'utiliser des contrats publics comme outils politiques, et il est également intolérable d'utiliser le pouvoir de son influence pour favoriser des élections. Il en va de la confiance des citoyens envers leurs dirigeants et leurs institutions.
Ces accusations sont le résultat des projets enquêtes Joug et Lierre, qui ont été fusionnées au fil du temps, a expliqué le responsable de la direction des enquêtes sur la corruption de l'UPAC, André Boulanger.
« Étant donné la finalité des stratagèmes utilisés et la nature des acteurs impliqués à certaines périodes, et ce, pendant plusieurs années, nous avons fusionné les deux enquêtes afin de démontrer l'aspect systémique des stratagèmes, et ce, de façon globale », a-t-il dit.
« Parmi les accusés, il y a, d'un côté, les gens de la classe politique, de niveau provincial et municipal, tels que des élus, des chefs de cabinet, des attachés politiques, et de l'autre côté, des administrateurs influents de la firme de génie-conseil Roche », a-t-il précisé.
Tous auraient « contourné les lois afin d'obtenir des avantages indus tels que, pour les uns, des cadeaux ou du financement politique, et pour les autres, l'obtention de subventions gouvernementales ou l'octroi de contrats publics ».
Roche avait un concept de développement des affaires relativement agressif qui faisait en sorte qu'elle approchait des membres influents du gouvernement. De par cette façon de faire et de par l'utilisation de prête-noms, le financement était attribué aux partis politiques et, nécessairement, il y avait un retour sur l'investissement au fil des années qui leur assurait une pérennité financière.
MM. Lafrenière et Boulanger n'ont pas voulu révéler les contrats publics qui sont en cause dans cette affaire.
Les accusés ont dû se rendre dans un poste de police jeudi matin, avant d'être relâchés sous promesse de comparaître le 20 avril au palais de justice de Québec. Pour demeurer en liberté, ils ont dû s'engager à ne pas communiquer avec leurs coaccusés, les témoins du dossier, ou les présidents, vice-présidents ou membres du C. A., passés ou présents, de Roche, aujourd'hui Norda Stelo.
13 chefs d'accusation retenus
Au total, 13 chefs d'accusation ont été autorisées par les procureurs du Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), dont complot, corruption, fraude, fraude envers le gouvernement, abus de confiance et fabrication et usage de faux documents.
Nathalie Normandeau, Marc-Yvan Côté, Bruno Lortie et France Michaud doivent répondre à sept d'entre eux. Dix chefs ont été retenus contre Mario Martel, le seul à être visé par des accusations de fabrication et d'usage de faux documents. Trois chefs ont été déposés contre Ernest Murray et deux contre François Roussy.
S'ils sont reconnus coupables, Mmes Normandeau et Michaud et MM. Lortie, Côté et Martel seront passibles de 14 ans de prison. Il s'agit de la peine maximale pour les accusations de fraude de plus de 5000 $, mais aussi pour celle de corruption de fonctionnaires judiciaires.
Dans ce dernier cas, Mme Normandeau et M. Lortie sont accusés d'avoir accepté, obtenu ou tenté d'obtenir, directement ou indirectement, de l'argent ou toute autre contrepartie pour des gestes qu'ils ont posés. MM. Côté et Martel et Mme Michaud sont soupçonnés d'avoir donné ou offert cette contrepartie.
La même dynamique est à l'oeuvre pour le chef de fraude envers le gouvernement.
Toutes les infractions auraient été commises entre 2000 et 2012.
À lire aussi :
- Le financement du PLQ d'aujourd'hui est exemplaire, soutient Philippe Couillard
- « C'est le même Parti libéral », disent les partis d'opposition
- Nathalie Normandeau plaidera non coupable
- Nathalie Normandeau suspendue sans solde du FM93
- Qui sont les personnes arrêtées par l'UPAC?
- Arrestations de l'UPAC : étonnement en Gaspésie
Nathalie Normandeau compte plaider non coupable
Me Maxime Roy, l'avocat de Nathalie Normandeau, conteste « sans réserve et sans hésitation » les accusations déposées contre sa cliente, qui plaidera non coupable lors de sa comparution, le mois prochain.
Me Roy a été prévenu de l'arrestation de sa cliente un peu avant 6 h 30. « On est extrêmement surpris du dépôt des accusations, a-t-il admis. Je le dis, je l'ai dit et je vais le répéter, elle n'a rien à se reprocher sur le plan criminel. »
Financement politique
Les activités de financement politique de l'ex-vice-première ministre du Québec Nathalie Normandeau ont été scrutées à la loupe lors des audiences de la commission Charbonneau. Mme Normandeau et MM. Lortie et Côté ont tous été entendus à ce sujet. Tous avaient nié avoir quoi que ce soit à se reprocher.
La commission avait démontré que Mme Normandeau avait utilisé son pouvoir discrétionnaire à 14 reprises pour financer des infrastructures municipales dans l'Est du Québec, dans des dossiers où les municipalités concernées faisaient affaire avec Roche.
Or, son chef de cabinet, Bruno Lortie, s'est appuyé pendant des années sur son ami Marc-Yvan Côté, lui-même un ex-ministre libéral, pour organiser des cocktails de financement au profit de Mme Normandeau, qui devait ramasser des dons totalisant 100 000 $ par année.
Le rapport de la commision a été marqué par une dissension entre les commissaires France Charbonneau et Renaud Lachance portant précisément sur le financement des partis politiques.
Contrairement à Mme Charbonneau, M. Lachance avait conclu que « les faits présentés devant la commission n'ont pas montré un lien, qu'il soit direct ou indirect, entre le versement d'une contribution politique au niveau provincial et l'octroi d'un contrat public ».